Issad Rebrab : « Ce sont les entrepreneurs qui finiront par créer le Maghreb »

Confiant, le patron de Cevital, le premier groupe privé algérien, a foi dans le potentiel de son pays et dans celui de l’ensemble de la région.

L’ancien expert-comptable est à la tête d’un conglomérat qui a généré un chiffre d’affaires de 3,5 milliards de dollars en 2012. © Ons Abid

L’ancien expert-comptable est à la tête d’un conglomérat qui a généré un chiffre d’affaires de 3,5 milliards de dollars en 2012. © Ons Abid

Publié le 8 avril 2013 Lecture : 4 minutes.

Dans un pays où le secteur public écrase tout, le PDG de la première entreprise privée algérienne anticipe la globalisation et mise sur le futur. Celui qui, à 69 ans, considère qu’« il faut toujours voir grand, même si parfois on est obligé de commencer petit » est à l’écoute de son temps et fait preuve de ténacité, de rigueur et de rationalité. Toujours confiant, Issad Rebrab croit en l’avenir régional. S’il ne tient rien pour acquis et ne perd pas de vue la concurrence mondiale, sa bête noire est toujours le manque de réactivité de l’administration.

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Issad Rebrab : 2014, c’est demain ! Mais il faut voir plus loin car nous avons trois défis essentiels à relever.

D’ici à 2020, nous aurons 10 millions de demandeurs d’emploi, ce qui nous place à l’orée d’une crise sociale extrêmement grave. Il faut l’anticiper. Les entreprises publiques ne peuvent plus recruter, mais l’administration peut stimuler et encourager le privé pour créer des emplois. Faciliter l’accès au foncier, éliminer les entraves bureaucratiques, permettre aux grandes entreprises d’investir dans de vastes projets en amont (pétrochimie, sidérurgie, cimenteries), entraînerait la création de milliers de petites et moyennes entreprises.

L’autre défi est d’assurer la sécurité alimentaire. Il est urgent de sécuriser nos approvisionnements pour certaines matières. Il suffit que le cours mondial d’un intrant augmente pour déséquilibrer une filière entière.

Enfin, il faut préparer l’après-pétrole. Dès 2025, le pays va consommer davantage et exportera moins de gaz et de pétrole, alors que 97 % à 98 % de nos exportations sont des hydrocarbures.

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Quelles sont les attentes des Algériens ?

De l’emploi, du développement et encore de l’emploi et du développement ! On n’est pas plus bêtes que les autres. Nos jeunes ont de l’ambition. Il faut leur donner la formation, les moyens, mais aussi de la considération. L’argent existe, mais l’accompagnement de l’administration en matière d’infrastructures, de développement et de formation n’est pas à la hauteur de ce qu’il devrait être.

Quelle est la place, selon vous, du Maghreb au coeur de la concurrence mondiale ?

La Chine est loin. Reste les Européens. Nous n’avons aucun problème pour leur damer le pion. Ils ont des difficultés à rester compétitifs d’autant que, en termes de taille d’entreprises, de ressources humaines et de logistique, nous avons l’avantage. On est désormais dans un marché économique global.

L’Europe gagnerait à regarder vers la rive sud de la Méditerranée, où la main-d’oeuvre, peu chère, est qualifiée ou peut facilement le devenir. Créer une synergie entre nous est de l’intérêt de tous. Avec un meilleur taux de croissance, le Maghreb aura un impact positif direct sur l’économie européenne.

Pourquoi avoir développé une université destinée à vos propres cadres ?

La clé, c’est la qualité des hommes et des femmes qui constituent les organisations de management. Il n’y a pas de richesse sans savoir-faire. Au Maghreb, nous n’avons rien à envier aux milliers d’ingénieurs américains. La Tunisie a saisi l’opportunité d’investir depuis quelques années dans la formation avec la Mediterranean School of Business, par exemple. Au lieu d’attendre que l’État se réveille, nous prenons les choses en main, voilà tout.

Nous n’avons aucun problème pour damer le pion aux Européens.

L’un des problèmes du Maghreb demeure l’investissement…

Les entrepreneurs doivent avoir confiance dans les pays maghrébins. Il est évident que, si on cherche des obstacles, on en trouve plein, mais, si on cherche des opportunités, on en trouve encore plus. C’est une question de mentalités. L’avenir est certainement, en grande partie, dans les énergies vertes. Elles sont plus coûteuses pour l’instant que les énergies fossiles, mais nous devons préparer l’avenir et devenir le premier fournisseur de l’Europe. Cependant, il est très difficile de faire aboutir des projets comme Desertec en raison de la crise. Pourtant, l’exploitation de 3 % de la superficie du Sahara pourrait couvrir à 100 % les besoins énergétiques de l’Europe et du Maghreb…

Le Maghreb réussira-t-il un jour son union ?

Ce sont les chefs d’entreprise qui finiront par créer le Maghreb. L’ordre ne viendra jamais des politiques, mais des entrepreneurs qui construisent l’économie. Il faut dépasser nos divisions et arrêter avec cette culture exacerbée du nationalisme. Ce qui nous unit est beaucoup plus important que ce qui nous sépare.

Puisque vous êtes de passage en Tunisie, comment appréhendez-vous l’évolution de ce pays ?

En Algérie, nous avons été choqués de voir qu’un grand nombre des terroristes d’In Amenas étaient des Tunisiens. Il faut s’en inquiéter et ne pas céder le terrain en répondant par le développement durable aux extrémistes qui recrutent sur le terreau de la misère. Il est à souhaiter que la Tunisie réussisse dans ses réformes et son virage politique. Il faut être attentifs. Entre pays maghrébins, il y a toujours eu un phénomène de contagion positif ou négatif. L’atout de la Tunisie est une population éduquée, elle va donc continuer de se battre pour la démocratie.

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