« Nos amis et les autres »
Les Européens ont donc reçu le président des États-Unis, fraîchement réélu pour un second et dernier mandat de quatre ans.
Il a été précédé par sa ministre des Affaires étrangères, Condoleezza Rice, qui a séduit les Européens et leur a fait espérer qu’ils verraient arriver chez eux un « nouveau George W. Bush », rasséréné par sa victoire, préoccupé par sa place dans l’Histoire, et qui aurait retenu de son premier mandat que l’arrogance et l’unilatéralisme ne paient pas.
Le président américain, dont le périple européen vient de s’achever, est en effet parvenu à dire des mots aimables, plusieurs jours d’affilée, a fait l’effort d’afficher un sourire, qu’il a arboré pendant tout son séjour, mais ses interlocuteurs ont tous constaté que l’homme du premier mandat, qui avait suscité une hostilité universelle, n’avait changé qu’en surface, et encore, pas beaucoup.
Ses idées fixes sont toujours là, muées par sa victoire électorale en inébranlables certitudes, ou même, et c’est le cas de le dire, en… paroles d’évangile : « Ce qu’il est parle si fort qu’on n’entend pas ce qu’il dit », a murmuré un de ses interlocuteurs, citant un mot célèbre.
George W. Bush est maintenant rentré chez lui. De son séjour européen, on retiendra :
– qu’il ne s’est pas réconcilié avec Jacques Chirac et Gerhard Schröder, n’a pas rapproché ses vues des leurs, ne leur a fait ni concession ni cadeau ;
– qu’il s’est montré fort discourtois à l’égard de José Luis Zapatero, président du gouvernement espagnol. Une attitude indigne d’un homme d’État dont une partie de la population est d’origine – et de fibre – hispanique (voir page 13).
– qu’il a traité Tony Blair et Silvio Berlusconi comme des féaux : il les paye en bonnes manières. Sans plus ;
– que la Russie et son président lui apparaissent comme une « énigme enveloppée de mystère ». L’ex-alter ego n’est plus un adversaire mais n’est pas devenu un ami : faut-il, à son endroit, utiliser la carotte plus que le bâton ? Ou l’inverse ? Comment doser les compliments ? Jusqu’où aller dans la remontrance ?
Cela pour les hommes et les pays d’Europe.
S’agissant des autres continents, le discours bushien a été d’une fermeté à laquelle ses hôtes ne s’attendaient pas. En voici la substance :
– La Syrie doit évacuer le Liban rapidement, « lâcher » le Hezbollah et cesser d’aider les terroristes à l’oeuvre en Irak. Si elle ne s’exécute pas, nous avons les moyens de l’obliger à le faire.
Personne n’a estimé utile ou possible de rappeler à Bush que la Syrie n’était pas seulement un pays occupant (du Liban), mais aussi un pays occupé (par Israël), et qu’il pourrait être opportun de lui promettre, fût-ce secrètement, qu’on l’aiderait, même plus tard, à rouvrir la négociation avec Israël pour obtenir l’évacuation de son territoire.
– L’Iran doit renoncer à toute ambition nucléaire ; l’autoriser à développer le nucléaire civil sous le contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est risqué.
Les Européens, qui se satisfont des déclarations rassurantes de Téhéran, font courir aux États-Unis et à Israël un danger excessif.
– La Russie doit cesser de vendre des réacteurs à l’Iran. De même qu’elle doit cesser de vendre des armes à la Syrie, pas même celles qu’on dit défensives.
– La Chine demeure l’adversaire stratégique de demain ou d’après-demain. Sous le coup, depuis plus de quinze ans, d’un embargo sur les ventes d’armes, elle n’a d’autre fournisseur que la Russie.
Quoi qu’il vous en coûte, vous devez, vous Européens, maintenir cet embargo et, si vous décidiez de le lever, comme vous vous proposez de le faire, sachez que vous iriez à l’encontre de nos intérêts.
Nous considérons cela comme inamical et très grave. Les mesures de rétorsion que prendra notre Congrès risquent d’aller très loin.
– Palestine. L’État palestinien, sur lequel nous nous sommes entendus avec le Premier ministre d’Israël, exclut le retour aux frontières de 1967, l’établissement de sa capitale à Jérusalem-Est, ainsi que le retour en Israël des réfugiés.
Le président des États-Unis s’est donc rendu en Europe pour dire à ses hôtes, poliment et avec le sourire : voici ma politique et les intérêts de mon pays tels que mon administration les a identifiés. Voici les lignes rouges que ceux d’entre vous qui veulent compter parmi nos alliés et amis ne doivent en aucun cas franchir.
Les autres ? Ils encourent le risque de perdre notre amitié…
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