Ndiaga Mbaye
Le chanteur sénégalais est décédé le 13 février, à Dakar.
Le parolier du peuple, appelé aussi « le philosophe » pour la pertinence de ses textes ancrés dans la vie quotidienne sénégalaise, s’est éteint dans la nuit du 12 au 13 février. Il avait 57 ans. Sa voix rauque, reconnaissable entre mille, s’est tue pour toujours pendant son transfert vers l’Hôpital principal de Dakar. Depuis deux ans, on le savait malade et, plusieurs fois, sa mort avait été annoncée. Il repose désormais à Touba, à 200 km au nord-est de la capitale.
Ndiaga Mbaye est né en 1948 à Tattaguine, dans la région de Fatik, dans une famille griotte. Fidèle à la tradition, il fait ses premiers essais de voix dans les cérémonies de mariage et de baptême. Il abandonne l’école juste après le cycle primaire et intègre l’armée en 1968. Sa voix y laissera davantage de souvenirs que ses prouesses de soldat. De retour à Dakar, en pleine crise estudiantine, Ndiaga Mbaye se lance dans la chanson sentimentale. « Mbeugel », chant d’amour censé éloigner les moments difficiles, devient un tube que tout le monde fredonne. L’Office de Radiotélévision s’en empare et l’ancien directeur du Théâtre national Daniel-Sorano, Maurice Sonar, lui ouvre les portes de son ensemble lyrique. Les mélomanes l’apprécient et il enchaîne les succès : « Mbeuguel », « Ndiourèle », « Oumar Foutiyou », « Niéty Abdou », « Dabaakh », autant de chansons où l’on parle d’amour, de respect mutuel, de paix.
Avec son album Rewmi yen beyilène, Ndiaga Mbaye marque son refus de rester confiné dans le rôle de guewel, le griot traditionnel. Avec le génie qui le caractérise désormais, il introduit des textes différents dans ce qu’il qualifie désormais de « folklore asséché, laudatif et monotone. » Les louanges aux clans ou aux chefs religieux laissent donc place à l’instruction du peuple. « Manger est bon, mais éduquer les masses est encore mieux » devient son slogan. Ndiaga a l’art de la formule qui sonne juste, comme « niit, niit moy garabam » [l’homme est son propre remède, NDLR]. Côté musique, ses trouvailles sont faites d’un mélange de jazz et de blues puis, le temps passant, de rap et de hip-hop. Sa cassette Ndiaga Mbaye dans le vent, produite par Youssou Ndour, en est la parfaite illustration. Toutefois, le discours politique et social n’est jamais loin. Par exemple, on trouve dans cet opus une chanson dédiée à Me Lamine Guèye, premier président de l’Assemblée nationale. Il souhaite que l’expérience de cet homme dont le panafricanisme n’est plus à démontrer, serve de modèle à la jeunesse qu’il exhorte à se mettre au travail. Homme de cur, il chante « Ndongo dahra » pour les talibés des écoles coraniques envoyés dans la rue et condamnés à la mendicité.
Au long de ses trente-cinq ans de carrière, Ndiaga Mbaye a alterné les solos et ce qu’il a appelé les « coups de mains » à ses collègues chanteurs et musiciens. « Ce sera difficile de trouver quelqu’un comme lui, Ndiaga était modeste et désintéressé », témoigne l’écrivain et critique littéraire Hamidou Dia. Celui-ci met la dernière main à un livre qui retrace le parcours de l’artiste, après lui avoir consacré, en 1979, une thèse intitulée Ndiaga Mbaye, signe et repère d’une culture. Dans le documentaire qu’il a réalisé en 2002 avec Laurence Gavron, El Hadj Ndiaga Mbaye : le maître de la parole, on voit l’artiste en compagnie de jeunes rappeurs, Didier Awadi et sa bande. Ils font partie des nombreux jeunes gens qui n’ont pas hésité à puiser dans le vaste répertoire de leur idole. « Grâce à lui, le folklore sénégalais voyage aujourd’hui au-delà des frontières », commente Hamidou Dia. Youssou Ndour lui-même lui rend hommage et lui
a dédié son Grammy Award 2005 (voir J.A.I. n° 2302).
Comme de nombreux artistes avant lui, d’Aminata Fall à Ndongo Lô, Ndiaga Mbaye est mort dans un dénuement presque total. Du coup, le débat est relancé, au Sénégal, sur le soutien de l’État aux artistes.
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