L’honneur perdu du haut-commissaire

Accusé de harcèlement sexuel, Ruud Lubbers, le patron du HCR, a été contraint de démissionner.

Publié le 27 février 2005 Lecture : 3 minutes.

Le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) apparaît un peu trop souvent, ces derniers mois, dans la rubrique faits divers des quotidiens. Dernier exemple en date : Ruud Lubbers (65 ans), son patron, a été contraint de démissionner le 20 février. Il est accusé de harcèlement sexuel.
Tout commence à Genève, en décembre 2003. Une employée américaine du HCR prénommée Cynthia (51 ans) révèle que l’ancien Premier ministre néerlandais aurait eu, au sortir d’une réunion, des gestes déplacés à son égard. Bref, il lui aurait « touché les fesses » à plusieurs reprises. Ce que Lubbers dément : il s’agissait, selon lui, d’un « simple geste amical ». Une enquête est diligentée par le Bureau des services de contrôle interne (BSCI) des Nations unies, qui recueille les témoignages de quatre autres salariées de l’organisation. Toutes confirment avoir subi les assiduités de Lubbers, qui, le soir, les invitait chez lui sous le fallacieux prétexte de réunions de travail, mais refusent néanmoins de porter plainte.
En juillet 2004, le rapport d’enquête est remis à Kofi Annan, le secrétaire général de l’ONU. Le BSCI juge recevables les accusations de Cynthia et, plus grave, déplore « une tendance au harcèlement sexuel » chez le haut-commissaire. Pourtant, Annan décide de ne pas engager de poursuites, faute de « base légale suffisante ». A-t-il voulu protéger son ami Lubbers ? La majorité du personnel du HCR en est, dès le départ, convaincue et vote une motion de défiance à l’encontre de la direction. Depuis, l’hypothèse s’est renforcée : Cynthia détiendrait des copies de plusieurs lettres adressées au secrétaire général dans lesquelles elle demandait à consulter le rapport d’enquête. Ce qui lui aurait été systématiquement refusé.
Le 18 février, le quotidien britannique The Independent révèle toute l’affaire en publiant le rapport du BSCI, dont il s’est procuré une copie. Dans la tourmente, Lubbers refuse d’abord de démissionner, puis finit par jeter l’éponge, deux jours après, tout en clamant son innocence et en reprochant à demi-mots au secrétaire général de l’avoir lâché. « Aujourd’hui, avec tous ces problèmes et la pression médiatique qui les accompagne, vous voyez, semble-t-il, les choses différemment », écrit-il dans sa lettre de démission. De fait, six mois après avoir soutenu publiquement Lubbers, Annan a été contraint, le jour même de la parution de l’article de The Independent, de publier un communiqué annonçant la tenue d’une réunion pour discuter de l’avenir du haut-commissaire.
Le secrétaire général n’avait pas vraiment le choix. Depuis qu’il a jugé « illégale » l’intervention américaine en Irak, l’administration Bush est résolue à ne lui faire aucun cadeau, alors qu’elle avait longtemps fermé complaisamment les yeux sur certains errements de sa gestion. Les néoconservateurs ont même mis au point un plan visant ouvertement à le contraindre à la démission et, par la même occasion, à affaiblir l’ONU, leur bête noire. Le problème est que leurs accusations ne sont apparemment pas toujours sans fondement : les « affaires » embarrassantes, en effet, se succèdent. Il y a d’abord eu la mise en cause de Kojo, le propre fils de Kofi Annan, dans une affaire de détournement de fonds dans le cadre du programme « Pétrole contre nourriture » en Irak… Puis la suspension de deux hauts fonctionnaires pour leur implication dans cette même affaire… Puis les abus sexuels dont se sont rendus coupables des Casques bleus en mission en RD Congo sur des mineures… Puis la mise en cause de Dileep Nair, le patron du BSCI, pour favoritisme et harcèlement sexuel (encore !), et son absolution trop hâtive, à en croire le syndicat du personnel… Dans ce contexte, l’affaire Ruud Lubbers ne pouvait évidemment plus mal tomber.
Le Néerlandais n’est pourtant pas le premier venu. Ancien élève des jésuites et fils d’un riche industriel, il a été, à 43 ans, le plus jeune Premier ministre de l’histoire des Pays-Bas, après avoir été, à 34 ans, son plus jeune ministre de l’Économie. Considéré comme l’un des principaux artisans du traité de Maastricht sur l’union politique et monétaire européenne (1991), il a dirigé le gouvernement néerlandais à trois reprises entre 1982 à 1994. Au cours des quatre années qu’il a passé à la tête du HCR, Lubbers est en outre parvenu à réduire sensiblement le nombre des réfugiés dans le monde : de 22 millions à 17 millions. Plus incroyable encore, le haut-commissaire reversait l’intégralité de son salaire à son organisation (environ 300 000 dollars, au total) et voyageait à ses propres frais ! Une carrière à tous égards remarquable ternie par une histoire de main bêtement baladeuse, c’est un peu triste, non ?

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