Le bon grain et l’ivraie

Publié le 27 février 2005 Lecture : 6 minutes.

La nouvelle n’a pas surpris grand monde. Le 23 février, le gouvernement a annoncé la prochaine disparition de Cameroon Airlines. « L’option choisie pour résoudre les problèmes de la compagnie est la « scission-liquidation », a expliqué le ministre de l’Économie et des Finances, Polycarpe Abah Abah, sans donner plus de détail. Un expert a déjà été commis pour prendre en charge ce dossier. »
L’expert en question, Paul Ngamo Hamani, préside actuellement la Commission technique de réhabilitation (CTR) des entreprises du secteur public et parapublic. À ce titre, il va devoir analyser la situation de Camair, puis « séparer ce qui est pourri de ce qui ne l’est pas ». À la suite de quoi la scission sera envisagée : « Deux entités pourraient alors être créées, explique un proche du dossier. La première reprendrait la partie saine de l’existant pour poursuivre les activités, la seconde hériterait de ce qui est difficilement vendable pour être liquidée. »
Autrefois motif de fierté, le pavillon national est en berne. Et la procession de dirigeants qui ont piloté la compagnie au cours des dix dernières années n’est pas sans lien avec son crash. Le parcours de l’entreprise publique résume les errements des hauts fonctionnaires successivement chargés du dossier. Victime du laxisme des uns et de la mégalomanie des autres, Camair semble définitivement condamnée.
Le 19 août 2004, le gouvernement sollicite l’avis de la Banque mondiale. Une mission d’experts dépêchée en septembre à Yaoundé se penche donc sur l’avenir de la compagnie. Restructuration, privatisation ou liquidation, le diagnostic n’a pas été publié. Mais pour les représentants de l’institution, l’objectif numéro un n’est pas forcément de sauver l’entreprise. Il s’agit plutôt de « mettre à la disposition des Camerounais et de la sous-région une compagnie aérienne efficace », explique-t-on à la Banque mondiale. Sollicitée via sa filiale SFI (Société financière internationale), celle-ci a dépêché sur place une mission d’experts dirigée par Samuel Brian pour conseiller le gouvernement. Quant à la survie du transporteur, elle dépend de trois paramètres distincts, relevant à la fois du domaine économique, politique et même idéologique.
En termes économiques, la question de la viabilité de la compagnie est longtemps restée en suspens, comme si la réponse faisait peur à tout le monde. Avec des pertes cumulées estimées à 73 milliards de F CFA, Camair était structurellement déficitaire depuis plus de dix ans. Pour certains, l’entreprise était déjà moribonde depuis longtemps et ne méritait même pas que l’on tente de la sauver. Mais d’autres estimaient qu’il était encore possible d’éviter le crash. À condition de faire preuve de rigueur et de modestie, deux qualités qui ont souvent fait défaut à la compagnie.
Tout d’abord, « en matière d’exploitation, il aurait fallu redimensionner la flotte, explique un expert du transport aérien. Avec deux ou trois appareils moyen-courriers, Camair aurait pu à la fois desservir Paris, rabattre une partie de la clientèle sous-régionale vers le hub de Douala et redévelopper le trafic domestique. » Deuxième condition à remplir : la recapitalisation de l’entreprise. Laquelle dépend de la stratégie de relance privilégiée par l’État. Lors de sa réunion du 22 septembre 2004, le Comité de suivi chargé de mettre en oeuvre le plan d’assainissement de la compagnie s’est inquiété « de voir les dettes du passé obérer la trésorerie au point de remettre en cause les résultats escomptés du plan d’assainissement de la compagnie ». En d’autres termes, si l’on veut relancer Camair, l’argent injecté ne doit pas servir à éponger le passif. Pour cela, il faut que l’État reprenne à son compte les ardoises accumulées par la compagnie vis-à-vis de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna), de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS), des Aéroports du Cameroun (ADC) ou d’Air France.
La troisième condition de la relance tient enfin au management de l’entreprise. Les partenaires de la société gardent un souvenir admiratif d’Yves- Michel Fotso et rappellent que, dans un contexte hyper-concurrentiel, la direction de la compagnie doit impérativement revenir à un gestionnaire compétent, intègre et charismatique. Plutôt qu’à un énième haut fonctionnaire qui sera dessaisi du dossier après quelques mois d’atermoiements.
Reste que l’avenir de la compagnie ne dépend pas que de contingences économiques. Cameroon Airlines, c’est d’abord une affaire d’orgueil national. La compagnie a été créée en juillet 1971, à la suite de la décision camerounaise de quitter le consortium Air Afrique. Pour l’État actionnaire, il s’agissait aussi de se doter d’un véritable « outil de souveraineté », la rentabilité n’étant qu’un souci secondaire. Malgré les turbulences, Camair est restée un symbole fort. Aussi sa liquidation est-elle un sujet hautement polémique. Un sujet sur lequel l’avis du ministère de tutelle ne compte que partiellement, l’intervention de la présidence de la République ayant toujours été déterminante. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les autorités ont préféré attendre que l’élection présidentielle soit passée pour annoncer la probable disparition du pavillon national. Mais, en prolongeant indéfiniment le naufrage, n’ont-elles pas pris le risque de rendre la liquidation inéluctable ?
Vue de Washington, celle-ci était devenue non négociable, le Fonds monétaire international (FMI) exigeant avec fermeté l’achèvement des réformes d’ajustement structurel initiées en juillet 1994 ! En septembre 2004, le pays a été déclaré off track par le FMI, qui a suspendu son appui financier pour sanctionner les dérives du gouvernement en matière financière. Bref, le Cameroun se devait de donner de toute urgence des gages de bonne conduite s’il ne voulait pas perdre le bénéfice de l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés), qui doit lui permettre d’obtenir un allégement substantiel de sa dette publique. Il est fort probable que cette perspective ait contribué à sceller le sort de Camair.
Au-delà des relations bilatérales avec les institutions de Bretton Woods, certains estiment que Camair serait devenue l’enjeu d’une bataille idéologique qui la dépasse. À l’heure où les boys de la Banque mondiale prêchent pour la privatisation des derniers bastions étatiques en Afrique subsaharienne, le projet d’Air Cemac, compagnie communautaire mise en oeuvre par les pays membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), en partenariat avec Royal Air Maroc, arrive à point nommé. Cette alternative proposée par le président gabonais Omar Bongo Ondimba et soutenue par ses homologues congolais, centrafricain et équatoguinéen rencontre encore de sérieuses résistances du côté du Tchad et du Cameroun. Pour sa part, N’Djamena préférerait attribuer ses droits de trafic à la nouvelle compagnie Toumaï Air Service, opérationnelle depuis octobre 2004. Quant aux autorités de Yaoundé, la défiance instinctive qu’elles éprouvent à l’égard de toute initiative émanant de Libreville, associée au fol espoir de sauver leur pavillon national, ne pouvait que les conduire à se montrer réticentes.
Pour les plus nationalistes, pas question de diluer la souveraineté aérienne camerounaise dans une entité sous- régionale vendue à des intérêts étrangers. Cette option, soutenue par la Banque mondiale, aurait notamment reçu l’aval des États-Unis, qui tentent de tailler des croupières à la France dans son ex-pré carré. Pour les experts américains, la subsistance d’une Camair moribonde face à la toute-puissante Air France (actionnaire minoritaire de Cameroon Airlines, l’État camerounais détenant 96,4 % du capital) créait une situation extrêmement juteuse pour le pavillon français, qui réalise « d’énormes marges bénéficiaires » sur l’Afrique centrale. Tout en lui permettant de renforcer le leadership hexagonal sur l’ensemble de la zone francophone.
Du côté du transporteur français, on se borne à expliquer que la concurrence est saine et souhaitable, et que la nature a horreur du vide : « Nous préférons nous trouver en compétition avec un opérateur digne de ce nom plutôt que d’être confrontés à des petites compagnies peu conformes aux standards internationaux du transport aérien. » La vieille collaboration franco-camerounaise serait-elle menacée par le modèle anglo-saxon ? Toujours est-il que, vu de Paris, Casablanca ou Washington, le destin de Camair dépasse largement le microcosme camerounais.

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