La complainte du Marocain offshore
Il n’y apas une communauté marocaine à l’étranger, il y en a cent, il y en a mille, autant que d’individus en somme. Quel rapport entre ce golden boy de la City qui a touché l’an dernier le plus fort bonus du temple de la finance et ce vieil homme qui végète à Bruxelles grâce à l’aide sociale ? Quel rapport entre ce tennisman polyglotte, toujours entre deux avions, et la Rifaine recluse à vie dans un deux-pièces de Hambourg ? Alors parlons de l’individu, né au pays de l’arganier et qui traîne sa bosse de par le vaste monde. Au cours des vingt ou trente dernières années, sa condition a considérablement changé. Il fut d’abord invisible, victime d’un malentendu. À Taiwan, à Kuala-Lumpur, il déclinait sa nationalité, Moroccan, on lui demandait des nouvelles de la princesse.
– Quelle princesse ?
– Grace, bien sûr.
Ces Asiatiques insultants ne connaissaient que Monaco. Bah, vu de Séoul, c’est tout près.
Arriva Khomeiny. Il dut partout jurer qu’il n’était pas fils d’ayatollah. Puis il fut compatriote d’Aouita. Un Américain, à Fort-Lauderdale, début des années 1980 :
– Morocco, yes, I know, the country of that great guy, heu, Owita, Yoweta, Ayuta ?
Quelques années plus tard, il eut à subir les touristes qui avaient « fait » son pays.
– Vous êtes marocain ? Ah, Ouarzazate, quelle splendeur… Mais les toilettes étaient bouchées !
Il affirma n’avoir jamais mis les pieds à Ouarzazate et ne rien comprendre à la plomberie.
À Amsterdam, il se présenta, on lui réclama du kif, lui qui n’avait jamais fumé ne serait-ce qu’un mégot de Favorite. À Oslo, on le félicita d’être compatriote de Zidane, ce qui était doublement faux, mais un compliment fait toujours plaisir et il l’accepta avec grâce.
En 1999, un peu partout en Europe, on lui serra la main avec effusion, tout le monde trouvait le jeune roi très sympathique. Il hochait la tête, se découvrant soudain démocrate et libéral, bien vu par tous, lui qu’on avait traité de féodal dans toutes les fêtes kabyles de ses années d’étudiant à Paris.
Le 11 septembre 2001 lui tomba sur la tête, il se réveilla suspect. Enlève tes chaussures et passe tout entier dans le scanner, espèce de graine de terroriste. Z’êtes quoi, vous, afghan, saoudien ?
– Marocain.
– C’est tout comme.
Il eut comme un sursaut. Non, ce n’est pas tout comme ! Nous avons une histoire millénaire, des paysages somptueux, des gens compliqués, des animaux simples, et l’arganier, n’oublions pas l’arganier !
Mais il se tut et ôta ses souliers. Le Marocain offshore se retrouva nu-pieds, comme les enfants de son douar natal. Afin qu’il n’oublie pas d’où il venait.
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