Atatürk abolit le califat

Publié le 27 février 2005 Lecture : 3 minutes.

« Je n’ai fait aucun mal à ma nation et je ne lui en ferai jamais. Au contraire, je prierai toujours Allah pour son relèvement, jusqu’à ma mort et après. » Quelques larmes coulent sur le visage d’Abdül-Mecid, en ce matin du 4 mars 1924. Avec son épouse, leur fils et deux princesses éplorées, il est conduit sous bonne escorte à la gare de Çatalca, à l’extérieur d’Istanbul, dernière étape avant l’exil.
La veille, son titre, qui faisait de lui le chef spirituel de tous les musulmans et le successeur des premiers compagnons du Prophète, a été aboli par les députés de la jeune République turque, fondée le 29 octobre 1923 sur les décombres de l’Empire ottoman. C’est le coup de grâce pour la maison d’Osman, vieille de six siècles : la Grande Assemblée nationale d’Ankara avait déjà déchu son cousin Vahideddin (Mehmet VI) du double titre de sultan-calife et supprimé le sultanat le 4 novembre 1922.
L’alliance de Vahideddin et du gouvernement Jeune-Turc avec l’Allemagne a rejeté l’empire dans le camp des vaincus de la Première Guerre mondiale. En août 1920, l’humiliant traité de Sèvres a attribué Smyrne (Izmir) et la Thrace orientale à la Grèce, la région d’Antalya à l’Italie et la Cilicie à la France. Il prévoit aussi la création d’un État kurde et d’un État arménien, et la neutralisation des détroits. Alors que les Grecs lancent une offensive en Anatolie de l’Ouest, le sultan désavoue le général Mustafa Kemal, qui organise la résistance puis se réfugie sur un navire de guerre britannique.

Entretemps, Mustafa Kemal, devenu le Gazi (« le Victorieux ») en écrasant les armées grecques, a changé le cours de l’Histoire. En 1923, le traité de Lausanne annule celui de Sèvres. Élu président, Atatürk (« le Père des Turcs ») veut construire un État moderne et faire de la Turquie, désormais tournée vers l’Occident, le premier pays musulman laïc. Il a les mains libres… ou presque. Reste un obstacle : le califat, incarné par Abdül-Mecid, qui a accepté d’être élu par la Grande Assemblée nationale d’Ankara, le 19 novembre 1922.
Peintre à ses heures, le nouveau calife refuse d’être une potiche en politique. Il participe les vendredis à la cérémonie du selamlik, dans un équipage tiré par quatre chevaux blancs, change de mosquée chaque semaine, reçoit beaucoup, y compris les diplomates étrangers. Cet activisme est insupportable à Mustafa Kemal, qui fait réduire d’un tiers sa liste civile. « Nous sommes turcs et seulement turcs », s’exclame-t-il, estimant qu’avec 8 millions d’habitants la nouvelle Turquie n’a ni les moyens ni le besoin de conserver ce symbole de l’Islam. Dès lors, il ne cessera de rappeler que la souveraineté appartient à la nation, et à elle seule.
La bataille du califat commence en décembre 1923, lorsque trois journaux stambouliotes publient une lettre envoyée de Londres par deux autorités musulmanes indiennes. L’Aga Khan et l’émir Ali y demandent à la République turque de rendre au califat « une position qui impose la confiance et l’estime des nations musulmanes ». Le gouvernement d’Ankara s’empare du prétexte : comme naguère Vahideddin, le calife entretient des liens avec l’ennemi britannique ! Deux mois plus tard, lorsque Abdül-Mecid écrit à Kemal pour réclamer davantage de moyens et de considération, ce dernier convoque les journalistes et leur annonce qu’il va supprimer le califat. Motif ? La religion relève de la sphère privée et doit être séparée de la politique.

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Docilement, les députés déposent trois propositions de loi : la première abolit le califat et ordonne l’expulsion des membres de la dynastie régnante ; la deuxième unifie les systèmes scolaire et judiciaire ; la troisième supprime l’instruction religieuse. Après cinq heures d’un débat houleux, les parlementaires finissent voter ces lois. Le peuple, désorienté par des années de guerre et par l’occidentalisation qu’on lui impose à marche forcée, ne réagit pas. La presse a été sommée de s’abstenir de tout commentaire.
Abdül-Mecid mourra dans l’oubli le 23 août 1944, à Paris. Il repose à Médine.

À lire : Kemal Atatürk, les chemins de l’Occident, d’Alexandre Jevakhoff, éd. Taillandier, 1989.

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