Vrai ou faux coup d’État ?
Le sergent-chef Ibrahim Coulibaly, dit IB, en rupture de ban et en exil depuis sept ans ; le journaliste français Jean-Paul Ney, arrêté fin décembre à Abidjan, que l’association Reporters sans frontières (RSF) n’entend pas défendre ; un obscur expert militaire du nom de Jean-François Cazé, alias Boris qui se présente comme un membre des services secrets français, ce que dément formellement Paris Un casting idéal pour les films de Nollywood – l’industrie nigériane de films de série B et de sitcom, souvent versés dans la femme infidèle, le mari jaloux et l’inévitable amant. Mais quand les images qui sortent de la caméra du reporter français parlent, que les conversations de corps de garde dérapent et que le tout tombe entre les mains de la police et fait le tour de la planète via le Net, l’affaire prend une tournure autrement sérieuse. Et finit dans le cabinet d’un magistrat, en l’occurrence celui de Raymond Tchimou, le procureur de la République d’Abidjan, qui inculpe Ney pour « atteinte à la sûreté de l’État ». Puis le place, lui et neuf de ses présumés complices, sous mandat de dépôt alors que son homologue des dossiers militaires, Ange Kessy, ouvre une information judiciaire contre IB. Non sans quelque raison.
Le document, saisi par la Direction de la surveillance du territoire (DST) de Côte d’Ivoire et mis en ligne par un membre des services de la primature sur le site de YouTube, explique par le menu la préparation d’un coup d’État qui doit se dérouler simultanément à Abidjan contre le régime du président Laurent Gbagbo et à Bouaké contre les ex-amis d’IB, à commencer par le chef de file des Forces nouvelles, Guillaume Soro, aujourd’hui Premier ministre. Séquence après séquence, les unes tournées à Cotonou, les autres à Abidjan, le film montre pendant un peu plus de deux heures IB et d’autres personnages, dont on distingue difficilement le visage, tenant des propos plutôt accablants pour l’ancien sous-officier qui compte déjà à son crédit un putsch en décembre 1999 qui a renversé le régime d’Henri Konan Bédié, deux tentatives de coup de force contre Laurent Gbagbo, en 2001 et 2002, et une contre Guillaume Soro en 2004. Florilège : « Il faut buter Chérif ; il faut buter Wattao. » Il s’agit, bien sûr, de deux chefs rebelles, Chérif Ousmane et Issiaka Ouattara. « Il faut mettre Bouaké à feu et à sang. » On voit également IB, cerveau présumé de l’opération baptisée du nom de code « Noël à Abidjan », déclarer, alors qu’il suit à Cotonou un discours télévisé de Laurent Gbagbo qu’il a capté par satellite, « ça, c’est son dernier discours ». « Il faut en finir avec Gbagbo. » Pour sa défense, qui s’annonce difficile, le sergent-chef parle de « montage », de « manipulation », mais n’en reconnaît pas moins la réalité des images et des propos.
Montage et manipulation de la part de Ney et Cazé désireux de tourner un film sur sa vie ? Ou de l’ex-rébellion qui a violemment réagi dans son fief de Bouaké où, dans la nuit du 27 au 28 décembre, elle aurait tué une quarantaine de personnes supposées proches d’IB ? L’enquête tentera de l’établir ainsi qu’elle s’attachera à déterminer l’identité du ou des commanditaires qui auraient financé l’équipement, l’entraînement, les déplacements et la paie des hommes dont on dit qu’ils attendaient en territoire ghanéen l’ordre d’attaquer. En attendant, c’est l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) qui s’insurge et condamne « les violences attentatoires aux droits de l’homme » qui se sont produites à Bouaké. Et s’inquiète « des affrontements à caractère militaire, [] des arrestations abusives et illégales ainsi que des exécutions sommaires », qui s’y sont déroulés, suscitant la colère des Forces nouvelles. Et toutes sortes de conjectures à Abidjan.
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