Retour de bâton

Publié le 27 janvier 2008 Lecture : 5 minutes.

L’année 2008 en est seulement à la fin de son premier mois que s’accumulent déjà les nuages et s’annoncent les orages.
Souvenez-vous, il y a quelques mois encore, à la mi-2007, c’était l’euphorie : le Fonds monétaire international (FMI) se félicitait du réveil économique de l’Europe (où la croissance était passée de 1,4 % à 2,6 %) et annonçait « une forte croissance de l’économie mondiale en 2007 et 2008 ».
Il soulignait la bonne volonté avec laquelle plusieurs pays continuaient à financer les énormes déficits américains et la maîtrise généralisée de l’inflation, malgré le renchérissement du pétrole et des autres matières premières.

Les effets bénéfiques de la mondialisation, dont, en particulier, l’intégration de plusieurs centaines de millions d’Asiatiques à l’économie internationale sans retour de bâton politique, étaient glorifiés. Et l’on nous assurait que les grandes Banques centrales veillaient sur les équilibres macroéconomiques et financiers de manière à prévenir tout accident.
Un nouveau choc pétrolier, comme ceux de 1974 et 1979 ? Exclu, le monde ayant appris à consommer moins de pétrole par unité produite et à supporter un cours du baril égal ou même supérieur à 100 dollars.
Un krach boursier à l’instar de celui de 1987, une crise financière comme celles qui ont frappé successivement le Mexique, les pays asiatiques et la Russie à la fin du siècle dernier ? Rien de tel à l’horizon : « Les fondamentaux sont sains », affirmaient la plupart des augures.
Et si l’on en voulait une indication supplémentaire, c’est le FMI lui-même, gendarme mondial des équilibres financiers, qui se chargerait de nous la donner : ayant vu ses prêts aux pays en crise remboursés, son activité réduite et son rôle même remis en question, il s’est résolu à licencier plusieurs centaines de ses cadres et à se chercher un nouveau rôle plus modeste.

la suite après cette publicité

C’est sur ces entrefaites que la crise a éclaté aux États-Unis, puis s’est propagée dans le reste du monde, rappelant les augures à la modestie : ceux qui se présentaient comme les maîtres du monde, et dont certains s’affichent aujourd’hui même au Forum économique de Davos, sont surpris par cette crise, comme leurs prédécesseurs l’ont été par toutes les autres, dont aucune n’a été prévue.
Ceux qui ont parlé d’un monde désormais à l’abri des crises économiques se sont trompés comme ceux qui ont parlé de « la fin de l’Histoire »
Ils ne peuvent aujourd’hui que multiplier les interrogations.

Les États-Unis connaîtront-ils une vraie récession ? Les autres économies avancées seront-elles touchées par les malheurs de l’Amérique ou par les excès de leurs propres marchés financiers ? Et les économies émergentes seront-elles épargnées par ces difficultés ?
La capacité de l’économie mondiale à continuer sur sa lancée actuelle – elle a connu, de 2003 à 2007, les quatre années de la croissance économique la plus rapide depuis le début des années 1970 – dépend des réponses que l’on pourra apporter à ces questions à la fin de l’année 2008.

À l’heure actuelle, les avis divergent fortement. Des économistes éminents et d’anciens décideurs de haut rang évaluent les risques de récession à 50-50. C’est le cas aux États-Unis de Lawrence Summers, ancien secrétaire au Trésor, celui d’Alan Greenspan, ancien président de la Réserve fédérale, et de Martin Feldstein, président du Bureau national de recherche économique.
Ben Bernanke, l’actuel président de la « FED », s’est montré à la mi-janvier carrément pessimiste, expliquant que « les informations qui nous parviennent donnent à penser que les perspectives fondamentales de l’activité réelle en 2008 se sont assombries et que les risques de ralentissement de la croissance ont augmenté ».

À ce stade, la majorité des observateurs pense que :
– l’Union européenne souffrira de la crise mais pourra échapper à la récession pour se maintenir en 2008 à un niveau de croissance économique situé entre 1,5 % et 2 % ;
– Sans la locomotive américaine, ce sont le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, principalement, qui permettront à l’économie mondiale de continuer à fonctionner à peu près normalement.

la suite après cette publicité

L’incertitude économique est cependant aggravée par les carences politiques, et la conjonction de ces deux facteurs crée une situation lourde de périls.
Les États-Unis sont menacés de récession économique alors que leur président est un incompétent avéré, qu’il est impopulaire à l’intérieur comme à l’extérieur et, de surcroît, en fin de « règne », donc avec moins de pouvoir et d’énergie.
Le reste de la classe politique est absorbé – et le sera tout au long de l’année – par la campagne électorale qui doit lui donner un successeur.
L’Irak, l’Afghanistan et le Pakistan, où le président américain a mis le fer, sont des pays sous tension où tout peut arriver.
Dans la même région, Israël, la Palestine, la Jordanie, le Liban et la Syrie sont à peine moins exposés et ont un seul point commun : des gouvernements faibles, une absence de leadership reconnue.
Quant à l’Iran, exclu de la partie, il est contraint de jouer le rôle du méchant déstabilisateur.

Simultanément, la Russie s’apprête à changer de président et, même si Vladimir Poutine reste au centre du pouvoir, il faudra du temps pour que le tandem qu’il compte former avec son successeur trouve ses marques.
La Chine, l’Inde, le Brésil ? Pour le moment et jusqu’à nouvel ordre, ils sont exclus du groupe des huit pays industrialisés qui se réunit annuellement pour régir les affaires du monde.
L’Afrique du Sud ? Pour la première fois de sa courte histoire postapartheid, elle est sans tête. Ou, plutôt, ce qui est pire, elle en a deux : Jacob Zuma y a pris le contrôle du parti majoritaire, tandis que Thabo Mbeki est, pour un an encore, le chef de l’État.
Nul ne pense que le pays en sera renforcé ni qu’il continuera à être aussi présent dans les affaires africaines ou mondiales.

la suite après cette publicité

Vous le voyez, « la guerre mondiale contre le terrorisme » dont George W. Bush a fait le moteur de sa politique intérieure et extérieure, le ciment de ses alliances internationales, est reléguée à l’arrière-plan : la juste place qu’elle n’aurait jamais dû quitter.
Ce qui est en jeu, c’est la mondialisation elle-même et ce qu’elle a rendu possible : la croissance économique à un rythme accéléré des grands pays du Sud grâce au développement des échanges commerciaux et à une nouvelle répartition internationale du travail.
Ne vous étonnez pas si, de nouveau et de plus en plus, vous entendez parler de protectionnisme économique et de barrières à élever pour rendre plus difficiles les échanges commerciaux
C’est ce retour de bâton qui nous menace en ce début d’année 2008 – et qui serait une terrible régression

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires