Vastes chantiers

Publié le 26 novembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Joseph Kabila et Jean-Pierre Bemba n’ont cessé d’appeler à la reconstruction et au redressement du pays durant la campagne électorale. Pour le vainqueur, la tâche est à présent titanesque, car en République démocratique du Congo (RDC) tout a été détruit. Les infrastructures scolaires, sanitaires, l’économie, l’unité politique, et l’autorité de l’État, rien n’a résisté à plus de trente ans de Mobutu et à la guerre. Les conflits armés depuis 1997 et l’ingérence des pays limitrophes ont saigné un Congo plongé dans le chaos et l’insécurité.
La première priorité est de poursuivre la stabilisation et la réunification du pays engagées depuis les accords de paix de décembre 2002, à Sun City, en Afrique du Sud. Sur l’ensemble du territoire, 500 000 Congolais ont regagné leurs foyers sur les douze derniers mois, mais le nombre de déplacés est encore estimé à 1,1 million. L’immense majorité d’entre eux se trouvent dans l’Est, où la situation sécuritaire demeure précaire, malgré la présence des Casques bleus de la mission des Nations unies (Monuc). En Ituri, les milices locales sont toujours à pied d’uvre. Dans le Nord-Kivu, le général dissident Laurent Nkunda vit retranché dans son fief et disposerait de 2 000 combattants, selon les autorités. Au Sud-Kivu, les extrémistes hutus rwandais contrôlent plusieurs zones reculées faisant régner la terreur. Dans l’est de la RD Congo, la guerre joue les prolongations.
Parallèlement, la formation d’une armée intégrée, censée aboutir au « brassage » des ennemis d’hier dans 18 brigades, accuse un retard inquiétant. Il en va de même du programme DDR – désarmement, démobilisation, réinsertion. Les effectifs de la garde présidentielle sont estimés à au moins 15 000 militaires. Quant au vice-président sortant, il disposerait de 8 000 combattants à son service. À Kinshasa, cette présence armée partisane a été à l’origine des nombreux affrontements qui ont émaillé le processus électoral. Par ailleurs, un récent rapport d’Amnesty International dénombre 11 000 enfants-soldats sur l’ensemble du territoire. « Mais pour désarmer, il faut donner du travail aux anciens combattants », résume un diplomate européen.
Pour cela, la machine économique doit être relancée afin de répondre à l’urgence sociale. Plus des trois quarts des 60 millions de Congolais vivent avec moins de 1 dollar par jour et sont victimes de malnutrition. L’espérance de vie est de 43 ans. Dans la fonction publique, les salaires de base sont inférieurs à 20 dollars par mois. Les hôpitaux sont de véritables mouroirs. Le taux de scolarisation à l’école primaire dépasse à peine les 50 % tandis que trois enfants sur dix parviennent au secondaire. Seulement 22 % de la population a accès à l’eau potable et moins de 15 % à l’électricité. « Nous survivons et nous avons à peine de quoi manger », se désole Papa Jean. Contraint de travailler comme chauffeur pour faire vivre sa famille, il subit de plein fouet le retour de l’inflation (12,5 % en septembre) et de la dévaluation du franc congolais (10 % depuis juin) après trois années de relative stabilité face au dollar. En octobre, le Fonds monétaire international (FMI) a confirmé les dérapages budgétaires estimés à 200 millions de dollars et dénoncé le recours à la planche à billets pour les financer.
Et pourtant, le pays ne manque pas d’atouts. Alors qu’il pourrait inonder en électricité l’ensemble du continent grâce à son immense potentiel hydroélectrique, le barrage d’Inga, situé le long du fleuve Congo dans l’ouest du pays, tourne au ralenti faute de turbines en état de marche. Quant au projet du Grand Inga, il reste en cale sèche à défaut d’accord avec les bailleurs internationaux. En aval, le port de Matadi s’enlise dans les méandres de la mauvaise gestion. Qualifié de scandale géologique par les hommes du roi Léopold II lors de sa conquête, le Congo recèle la moitié des ressources mondiales de cobalt ainsi que des réserves inestimables de cuivre, d’étain, de coltan, de zinc, d’uranium, de bois, de diamant et d’or « Mais la RDC a été littéralement dépecée pour ses matières premières par les chefs de guerre et les pays voisins. Cette manne échappe presque totalement à l’État et la corruption empêche un redémarrage de l’activité », se désole un fonctionnaire international.
De fait, l’économie reste à 80 % informelle. Le patrimoine minier du pays – Gécamines, Miba (Minière de Bakwanga) et Okimo (Office des mines d’or de Kilo Moto) – a été « bradé » au privé, « saucissonné », et livré aux plus offrants dans des conditions pour le moins opaques. Concessions minières sous-évaluées, exonérations fiscales, exportations frauduleuses de minerais, les pertes liées au « pillage » ont été estimées à 10 milliards de dollars par la commission d’enquête parlementaire dirigée par le député Christophe Lutundula. Le rapport a été rendu public en février 2006. Fleuron de l’économie nationale dans les années 1970-1980, la Gécamines produisait plus de 400 000 tonnes de cuivre par an et assurait 60 % des recettes de l’État. Aujourd’hui, la production est de 17 000 tonnes et la contribution fiscale proche de zéro. La RDC vit grâce aux apports extérieurs. L’aide internationale représente 57 % du budget national.
Face à ces enjeux, « ces élections sont un premier pas pour résoudre la crise de légitimité politique. Mais à terme, il faut bâtir un modèle démocratique et restaurer l’autorité de l’État », estime l’historien congolais Elikia M’Bokolo, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris). Une fois investi le 10 décembre, Joseph Kabila pourra s’appuyer sur le verdict des urnes pour diriger le pays, asseoir son autorité sur la multitude de partis alimentaires, et compter sur une majorité parlementaire stable (plus de 300 députés sur 500) afin de mener les réformes nécessaires. Il bénéficiera aussi de la nouvelle Constitution, adoptée par référendum en décembre 2005, qui prévoit un État fortement décentralisé au bénéfice des 26 provinces – contre 11 aujourd’hui – disposant d’autonomie de gestion, qui vont voir le jour.
Une façon de contourner l’immensité du pays tout en en reconstruisant l’unité nationale. La Loi fondamentale fixe également les règles d’un système semi-présidentiel équilibré, où le chef de l’État nomme le Premier ministre au sein de la majorité à l’Assemblée nationale mais demeure responsable devant le Parlement. Sur le papier, l’arsenal institutionnel a donc la faculté de stabiliser un pays profondément traumatisé et déstructuré. À condition que chacun prenne ses responsabilités : exercer le pouvoir sans en abuser et assurer légalement son rôle d’opposant.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires