Un passeport en or

Publié le 26 novembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Quand on se promène dans le vaste monde avec un passeport maghrébin ou africain, on n’est pas partout le bienvenu. Hélas ! C’est un fait regrettable, qui est dû à toutes sortes de raisons, plutôt mauvaises que bonnes, mais c’est un fait. Acceptons-le, faisons avec et continuons de vivre dans la joie et la bonne humeur. Ne laissons pas le coup d’il méfiant d’un douanier ou le regard épouvanté d’une caissière de supermarché nous gâcher la vie.
Jusqu’à hier, c’était là ma philosophie de la vie. Elle n’atteint pas la profondeur de celle de Spinoza ni l’acuité de celle de Wittgenstein, certes, mais du moment qu’elle aide à supporter la malédiction du passeport, elle me suffit amplement.
Jusqu’à hier, donc. C’est alors que je rencontre un certain Bouderbala dans un bistrot de Londres. (Entre parenthèses, j’étais entré dans ce bistrot, dans le quartier de Mayfair, parce qu’il promettait de la nourriture mexico-polonaise – je n’invente rien. Reporter intrépide de J.A., je voulus constater de visu cet avatar de la mondialisation.) Là, devant un plat de choucroute au chocolat amer et haricots rouges, je lie connaissance avec Bouderbala, père marocain, mère algérienne, doublement suspect donc. Et il m’apprend un truc stupéfiant : il existe dans les îles Britanniques un endroit où des types comme lui sont non seulement tolérés, mais accueillis à bras ouverts.

Ce lointain descendant d’Ibn Battouta avait récemment poussé son vagabondage de jeune Maghrébin en quête d’aventures jusqu’à l’extrémité sud-ouest de l’Angleterre. Là, dans un port, il aperçoit un bateau. Quand on voit un bateau et qu’on est jeune Maghrébin, on monte dedans. Quelques heures plus tard, Bouderbala débarque sur une petite île dont on lui dit qu’elle se nomme St Mary. Il se promène, lie connaissance dans un pub avec quelques natifs du coin et là, exactement une demi-heure après qu’il a mis les pieds dans un endroit dont il ignorait jusqu’alors l’existence, là, dès qu’il a eu révélé son identité arabo-berbère, on lui propose, comme ça, en direct, un emploi de pompier. On lui donnera un joli casque, une formation de trois heures (comment récupérer un chaton coincé au sommet d’un arbre, etc.) et il aura le job à vie.
Vous me dites :
– C’est quoi, cette histoire, qu’elle est même pas vraie ?
Au contraire, c’est de l’authentique pur jus. Goûtez l’explication. St Mary est l’une des îles Scilly, qui font partie de l’Angleterre et où les lois anglaises s’imposent. Exemple entre mille, le syndicat des pompiers britanniques ne cesse d’exiger du conseil municipal de St Mary qu’il emploie des membres de minorités ethniques. Le conseil a beau répondre qu’il y a exactement 0 représentant desdites minorités dans l’île (les 1 665 habitants sont tous blancs), rien n’y fait et les représailles menacent. D’où la soudaine importance de mon ami Bouderbala au teint sombre de fier habitant des déserts. Or ce qui s’applique aux pompiers s’applique aussi aux policiers (il y en a dix, donc deux doivent être obligatoirement basanés), aux infirmières, aux ramoneurs, aux dinandiers, aux rémouleurs, etc. On demande de l’ethnique ! On souhaite du Maghrébin ! On veut du Noir !
Dans notre bistrot polono-mexicain de Londres, nous nous regardâmes, Bouderbala et moi, très émus. Nous venions de découvrir l’un des rares endroits sur terre où notre passeport de métèque valait de l’or

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