Opération Syrie

Publié le 26 novembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Presque en même temps, la semaine dernière, deux curieux voyages ; un autre, tout aussi intriguant, se prépare au moment où j’écris ces lignes :
– George W. Bush, président des États-Unis et commandant en chef de « la guerre contre le terrorisme islamiste », a rendu une courte visite à l’Indonésie, le pays musulman le plus peuplé de la planète.
– Tony Blair, son second dans cette guerre, s’est déplacé de Londres pour se rendre au Pakistan, deuxième pays musulman par la population.
Leurs armées occupent deux autres pays musulmans, l’Irak et l’Afghanistan, et s’y comportent en armées d’occupation. Les forces militaires de leur allié israélien, parti en guerre contre le Liban en juillet dernier, occupent depuis quarante ans la Palestine, avec leur bénédiction ; les excès qu’elles y commettent ne suscitent de leur part que marques – et votes – d’approbation.
– Le pape Benoît XVI, qui n’a, lui, c’est bien connu, aucune division, a choisi de se rendre, ce 28 novembre, en Turquie, cinquième pays le plus peuplé du monde islamique*.

Pourquoi ces trois voyages quasi simultanés de ces trois hommes-là dans trois grands pays d’islam ? Ils y sont reçus par les autorités, lorsqu’elles ne peuvent pas faire autrement, et conspués par les populations, qui savent, elles, d’instinct, que leurs augustes visiteurs font peu de différence entre islamisme et islam, et voudraient bien que ni l’un ni l’autre n’existent.
Ces voyages font, à mon avis, partie de l’affrontement : ils sont, comme on dit, « la guerre par d’autres moyens ». Il s’agit en effet, pour leurs auteurs, de maintenir le contact avec les dirigeants des pays musulmans pour les garder dans « le camp du bien », quitte à les compromettre et à les couper de leurs opinions publiques, considérées, elles, comme irrécupérables.
C’est le « diviser pour régner » pratiqué au niveau de chaque pays musulman.
Mais pas seulement.

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La tactique de guerre employée avec les pays musulmans est la même que celle adoptée naguère, au temps de « la guerre froide », avec les pays communistes : il faut les éloigner les uns des autres, voire, chaque fois que c’est possible, les dresser les uns contre les autres.
On a vu, tout au long de cette année 2006, se développer l’opération qui consiste à détacher le Liban de la Syrie, baptisée « Libération du Liban de la férule syrienne » (ce qui est en bonne partie vrai).
Nous assistons en ce moment au deuxième volet, beaucoup plus important, de la même opération : il s’agit cette fois de « casser » le front formé par l’Iran et la Syrie depuis près de trente ans en persuadant cette dernière qu’elle a beaucoup à gagner à se détacher de l’axe qu’elle forme avec l’Iran.
On lui offre de réintégrer le camp des pays arabes modérés, amis de l’Amérique et protégés par elle : Égypte, Arabie saoudite, Jordanie, Koweït et autres Émirats.
Le New York Times l’écrit sans ambages : « Une Syrie détachée de l’Iran et en rapprochement avec les États-Unis pourrait participer à une relance de l’effort de paix arabo-israélien et s’opposer au chaos qui s’étend en Irak. L’intérêt national de la Syrie dans ces deux domaines rejoint au moins partiellement celui des États-Unis et celui d’Israël. »

Les auteurs de cette opération avaient déjà réussi, en 1978, à détacher l’Égypte du camp arabe : le prix payé pour cette paix séparée ? Le Sinaï, rétrocédé à l’Égypte par Israël.
Les États-Unis ont compensé cette restitution en « remboursant » Israël et octroyé à l’Égypte, en guise de large pourboire, une aide économique annuelle de l’ordre de 2 milliards de dollars, qui perdure à ce jour.
Vingt-cinq ans plus tard, les mêmes ont ramené la Libye dans leur giron en utilisant la même méthode : d’abord le bâton, puis, au cours de négociations secrètes, quelques carottes, et le tour est joué.
Après la grande Égypte et la petite Jordanie, c’est la Libye qui leur mange aujourd’hui dans la main et, riche en pétrole, leur permet de récupérer leur mise

Gouvernée par un président inexpérimenté à la tête d’une oligarchie divisée, ayant pris un retard économique considérable sur les autres pays de la région, soumise à une pression multiforme – le bâton -, la Syrie finira, à mon avis, par céder : elle renoncera à son alliance stratégique avec l’Iran, abandonnera le Hamas et le Hezbollah, atouts accumulés patiemment par Hafez al-Assad, père de l’actuel président.
Si elle négocie bien, elle récupérera le Golan, comme l’Égypte a récupéré le Sinaï.
L’Amérique paiera Israël pour ce « sacrifice », mais trouvera dans son escarcelle la Syrie et le Liban.

Mener à bien une opération d’une telle envergure prendra probablement plus de temps que les deux ans qui restent à Bush.
Où en sera l’Irak d’ici là ? Et quelle aura été la parade de l’Iran à la tentative d’isolement dont il est l’objet ?
Vous le voyez à ces interrogations : le Moyen-Orient n’est pas sorti du tumulte, et les pays d’islam sont encore pour longtemps dans la tourmente.

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* Derrière l’Indonésie, le Pakistan, le Bangladesh et l’Égypte.

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