Déby prend le pouvoir

Publié le 26 novembre 2006 Lecture : 3 minutes.

« Si Idriss veut le pouvoir, qu’il le prenne », lance Hissein Habré en plein Conseil des ministres. Ce vendredi 30 novembre 1990, à N’Djamena, l’atmosphère est lugubre. Les dignitaires du régime comprennent que c’est fini. Dans la soirée, Habré fait vider les coffres de la Banque centrale. À 3 heures du matin, il monte dans sa Mercedes blindée. Les fidèles suivent à bord d’une vingtaine de véhicules. Direction la frontière camerounaise. L’homme qui a chassé les Libyens du Tchad et qui a été reçu à bras ouverts à la Maison Blanche par Ronald Reagan s’enfuit comme un voleur.

Quand le jour se lève, le 1er décembre, l’opposant Gali Ngothé Gatta, qui croupit dans une cellule, comme des milliers d’autres Tchadiens, n’en croit pas ses yeux. Les gardiens sont partis. La porte est grande ouverte. Il sort, timidement d’abord. Puis s’enhardit. Il rentre chez lui. Beaucoup de ses compagnons de captivité sont morts sous la torture. Gali est un miraculé ?de la DDS, l’impitoyable Direction de la documentation et de la sécurité.
Tout commence vingt mois plus tôt. Le 1er avril 1989, les trois chefs militaires zaghawas du régime s’enfuient de N’Djamena. Hassan Djamous et Brahim Itno sont rattrapés et tués. Seul Idriss Déby parvient au Soudan. À l’époque, tout le monde pense : « exit Déby ». Mais c’est compter sans le colonel Kadhafi et François Mitterrand. La Libye a une revanche à prendre sur Habré. Et la France n’a pas oublié que l’ancien rebelle Habré a fait exécuter le commandant Galopin, venu négocier la libération de Françoise Claustre dans le Tibesti, en 1975. En juin 1990, les choses se gâtent un peu plus. Au Sommet de La Baule, le président tchadien s’oppose ouvertement au discours français sur la démocratisation.
Désormais, les portes s’ouvrent devant le rebelle Déby. D’abord à Khartoum, où un jeune officier, Omar el-Béchir, vient de prendre le pouvoir. À Tripoli, bien sûr. Puis à Lomé et à Ouagadougou, où Gnassingbé Eyadéma et Blaise Compaoré l’accueillent comme un frère. Enfin à Paris, où les services secrets le reçoivent dans la plus grande discrétion. Quand il rentre dans son sanctuaire soudanais du Darfour Nord, l’ancien « comchef » d’Habré ne manque ni d’armes ni de véhicules. Surtout, il a la garantie que les Français ne lui mettront pas de bâtons dans les roues.
Le 10 novembre 1990, les rebelles du Mouvement patriotique du salut (MPS) partent à l’assaut sur le plateau rocailleux du Biltine, dans le nord-est du pays. Ils sont mobiles. Leurs embuscades sont meurtrières. Habré demande à Mitterrand de lui fournir les photos aériennes du dispositif Épervier sur les déplacements rebelles. Ce dernier refuse Le 22, le président tchadien décide de monter au front. Il veut en finir. Un avion le dépose à Oum-Chalouba. Le 25, Habré et Déby se retrouvent face à face dans une immense plaine herbeuse près de la localité frontalière de Tiné. Chaque camp ?aligne une centaine de tout-terrains équipés de canons bi-tubes ou de mitrailleuses.
Habré sait que Déby est en face. Déby, non. Les forces loyalistes chargent. Celles de Déby vont au contact. La bataille est furieuse. Pour se reconnaître entre eux, les rebelles ont peint des taches noires sur la carrosserie de leurs véhicules. Dans la mêlée, les artilleurs font pivoter leur canon sur le plateau arrière de leur tout-terrain. Comme dans les charges de cavalerie, c’est le plus fou qui gagne. Les hommes de Déby prennent le dessus. Habré décroche.
Moment de panique pour Habré. Son véhicule de commandement tombe en panne. Dans la fuite, il abandonne ses documents d’état-major et monte dans un autre tout-terrain. Direction Oum-Chalouba, à 200 kilomètres à l’ouest. Deux heures plus tard, Déby tombe sur le véhicule en panne. Aussitôt, il se met en chasse. La poursuite dure toute la nuit. Le 26 au matin, quand Déby arrive sur la piste d’Oum-Chalouba, l’avion d’Habré vient de décoller

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C’est le dimanche 2 décembre à 16 heures que le vainqueur arrive à N’Djamena, par la route d’Abéché. Treillis, lunettes noires, chèche sur la tête, il est à bord d’une Mercedes, lui aussi. Escorté par plusieurs dizaines de tout-terrains. Pas de grande foule. Juste des badauds. À l’entrée de la ville, il est salué par l’ambassadeur de France. Puis il se rend au camp des Martyrs, juste en face de la présidence. Il s’assoit derrière une table basse en formica, allume une cigarette et savoure son plaisir. Parmi les visiteurs du soir se glisse Gilbert Diendéré, le numéro deux du régime burkinabè. Il était arrivé à N’Djamena le matin même, quelques heures avant le nouveau maître du Tchad.

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