« Les rebelles recrutaient dans les camps de réfugiés »

La réponse des autorités au rapatriement, à la mi-juin, de leurs ressortissants réfugiés au Burundi va-t-elle mettre un terme à la polémique ? Entretien avec Joseph Mutabora, secrétaire général du ministère de la Sécurité.

Publié le 26 juin 2005 Lecture : 3 minutes.

Joseph Mutabora est un diplomate de carrière. Ancien secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, il a été ambassadeur notamment à Washington, New York (ONU) et Addis-Abeba. Depuis novembre 2003, il est secrétaire général du ministère de la Sécurité. Et, à ce titre, répond aux accusations du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Celui-ci doute en effet que les quelque 7 000 ressortissants rwandais installés au Burundi voisin aient volontairement décidé de rentrer dans leur pays.

Jeune Afrique/l’intelligent : Que s’est-il passé avec les réfugiés rwandais au Burundi ?
Joseph Mutabora : Tout a commencé fin mars-début avril, au moment où le processus des gacaca [tribunaux populaires, NDLR] s’est enclenché. Il y a eu des séances publiques d’information des citoyens sur les événements survenus pendant le génocide de 1994. Elles portaient sur des faits jusque-là non relatés, concernant à la fois des gens en prison et d’autres en liberté. Mais, coïncidence bizarre : un mouvement d’opposition armée, le Front pour la défense et la libération du Rwanda (FDLR), basé en République démocratique du Congo (RDC), a publié le 31 mars, à Rome, une déclaration annonçant sa décision de renoncer à la lutte armée, de reconnaître la réalité du génocide et de rentrer au pays. C’est alors que nous avons appris que des rebelles s’entraînaient en RDC et se préparaient à nous attaquer. Des gens étaient venus dans les communes voisines du Burundi pour chercher de nouvelles recrues parmi les réfugiés rwandais…
J.A.I. : Pourquoi les Rwandais ont-ils fui vers le Burundi ?
J.M. : Dans la préfecture de Butare, nous avons eu vent de plusieurs rumeurs malveillantes sur les gacaca…, qui ont semé la panique et incité certaines populations à fuir vers le Burundi. Le HCR leur a installé des camps. Aujourd’hui, nous avons des preuves que des rebelles rwandais ou des sympathisants des FDLR ont infiltré ces camps pour recruter des soldats. Nous avons alerté les autorités du Burundi et celles du HCR. Mais si le Burundi a accepté de diligenter une enquête, le HCR n’a rien voulu entendre. Pour lui, ce sont des réfugiés, et non des fugitifs.
J.A.I. : Combien sont-ils ?
J.M. : Nous sommes passés d’environ 2 000 réfugiés en avril à quelque 5 000 ou 7 000 au début de juin. Il n’y a pas de chiffres précis à cause des multiples va-et-vient.
J.A.I. : Qu’en pense le Burundi ?
J.M. : Pour les autorités de ce pays, ces mouvements risquaient de perturber le processus électoral lancé le 3 juin. Après examen de la situation, le 25 mai à Butare, nous avons décidé de fermer les camps avec ou sans l’accord du HCR, après avoir engagé une campagne de sensibilisation des réfugiés.
J.A.I. : Comment ?
J.M. : Dès le lendemain de notre réunion, plusieurs responsables des deux pays ont visité les camps pour convaincre les fugitifs de rentrer chez eux tout en les rassurant sur leur sécurité. Des camions étaient disponibles pour leur retour dans les meilleures conditions. C’est ainsi que le premier camp – celui de Cankuzo – a pu être fermé le 27 mai. C’était notre principal objectif, car ce camp était infiltré par des recruteurs, dont la plupart ont d’ailleurs été arrêtés par les autorités burundaises. Personne parmi les fugitifs n’a été forcé de rentrer, contrairement à ce que prétend le HCR. Le septième et dernier camp, celui de Songore, a été fermé le 13 juin aussi pacifiquement que les autres.
J.A.I. : Que représente la menace du FDLR ?
J.M. : C’est un mouvement qui a changé plusieurs fois de nom. On sait tout sur lui et ses dirigeants. Il s’est successivement appelé Alir, Palir, Foca… Ce sont d’anciens membres des Forces armées du Rwanda (FAR) et des Interahamwe (des milices anti-Tutsis). Ils sont dirigés par le Dr Ignace Murwanashyaka, originaire de Munyegera, dans le district de Gikongo. Mais ce n’est pas un génocidaire.
J.A.I. : Comment définissez-vous le rôle des gacaca ?
J.M. : Ce sont des tribunaux populaires bien réglementés, dont la procédure permet à tous les Rwandais de savoir, grâce à des témoignages, ce qui s’est exactement passé au cours du génocide, en 1994. Qui a fait quoi, où, avec qui et comment ? Les gacaca ne traitent que des cas simples, ceux des personnes ayant trempé indirectement dans le génocide. Les condamnations portent souvent sur des peines de travaux d’intérêt général. L’objectif n’est pas la prison, mais la réconciliation. C’est ainsi que le Rwanda pourra devenir un pays, une nation.

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