La résolution 1603, présage de paix en Côte d’Ivoire ?

Publié le 26 juin 2005 Lecture : 5 minutes.

Dans l’une des récentes livraisons de Jeune Afrique/l’intelligent (n° 2316 du 29 mai 2005), le président de la République fédérale du Nigeria, président en exercice de l’Union africaine, Olusegun Obasanjo, a répondu avec une rare franchise à certaines questions pertinentes au cours d’un entretien qui restera mémorable. Je tiens à en extraire une partie, celle qui intéresse la réflexion que je souhaite proposer à notre analyse commune :
« Excluez-vous totalement de solliciter un troisième mandat en 2007, pour éviter une crise de succession par exemple ?
Notre Constitution ne le permet pas.
Une Constitution se modifie. Cela s’est vu dans le passé…
Je ne prendrai jamais une telle initiative pour mon intérêt personnel. C’est exclu.
Et il n’y aura pas de crise ?
Il est vrai que certains se demandent ce qu’il adviendra en 2007 et après. Je ne vois pas de crise poindre à l’horizon. Nous sommes suffisamment mûrs pour régler la question. Comme dans l’histoire de toute nation, Dieu fera en sorte qu’un leader émerge et s’impose.
Que ferez-vous après avoir quitté le pouvoir ?
Je retournerai dans ma ferme, à Otta. Et vous y serez les bienvenus… »

Il faut se réjouir d’une telle lucidité et d’une telle honnêteté politique.
Alors, on ne peut donc que s’étonner de la querelle montée par le même Obasanjo contestant publiquement les légitimes prérogatives du président de la Commission de l’Union africaine et rabrouant sans ménagement de hauts responsables qui prennent leurs distances avec certaines méthodes d’accession au pouvoir. Méthodes tirées de leçons apprises et rabâchées depuis Louis XV et inspirant encore des comportements d’arrogance destructrice :
« En ma personne seule réside la puissance souveraine. À moi seul appartient le pouvoir législatif sans dépendance et sans partage. L’ordre public tout entier émane de moi, et les droits et intérêts de la nation… sont nécessairement unis avec les miens et ne reposent qu’en mes mains. Si lorsque mon autorité a été forcée de se déployer dans toute son étendue, mes cours osaient encore lutter contre elle, la confusion et l’anarchie prendraient la place de l’ordre légitime et ce spectacle scandaleux d’une contradiction rivale de ma puissance souveraine me réduirait à la triste nécessité d’employer tout le pouvoir que j’ai reçu de Dieu pour préserver mes peuples des suites funestes de telles entreprises. »
Louis XV parlait ainsi le 3 mars 1766 en s’adressant à son Parlement à la fameuse séance dite « Séance de la Flagellation ».
Environ cent ans après et presque jour pour jour, le 4 mars 1861, c’est Abraham Lincoln qui répondra le plus justement aux prétentions du monarque :
« Ce pays avec ses institutions reste la propriété de ses citoyens. Lorsqu’ils ne seront plus en mesure de tolérer l’autorité qui les gouverne, ils doivent pouvoir exercer leur droit constitutionnel de la censurer ou leur droit révolutionnaire de la renverser. »*
Entre les propos de Louis XV et ceux d’Abraham Lincoln, la Révolution de 1789 avait soufflé, portée par l’esprit de Sieyes : « On n’est pas libre par des privilèges, on est libre par des droits qui appartiennent à tous. »

la suite après cette publicité

Cette leçon d’histoire est devenue pour l’humanité entière le fondement de nos démocraties. En Afrique, nous continuons malheureusement d’apprendre. Et quelques chefs, aidés de partenaires douteux, traînent encore les pieds, s’acharnant à se vouloir omnipotents, immortels, même de mille façons et utilisant pour cela le mode du consentement frauduleusement arraché et imposé.
Le résultat ? Les rébellions jaillissent, les conflits prolifèrent, les cadavres s’amoncellent, les foyers de réfugiés s’étendent, les opérations de maintien de la paix se multiplient. Ainsi vit aujourd’hui en Afrique de l’Ouest le pays d’Houphouët Boigny : la Côte d’Ivoire. Or précisément c’est ce cas qui offrira sinon une solution, peut-être une démarche de raison.
L’Histoire retiendra en effet que le 3 juin 2005 le Conseil de sécurité des Nations unies présidé par le français Jean-Marc de la Sablière a pris une résolution d’exceptionnelle importance : la résolution 1603.
Tirant argument de toutes les négociations, suggestions, tractations et propositions sur la situation en Côte d’Ivoire, les Nations unies ont finalement décidé de s’impliquer dans l’organisation des prochaines élections dans ce pays. Ce n’est pas une première. L’ONU a déjà participé directement ou indirectement à la préparation et au déroulement de scrutins et consultations populaires à travers le monde. La différence ici, c’est que nous sommes dans une Afrique déchirée par des conflits qui tous ont plus ou moins pris naissance à partir de l’acharnement à confisquer le pouvoir, de la fraude électorale, de résultats d’élections visiblement mal gérées, manipulées et donc violemment contestées. Les conflits nés de cette situation devenue générale coûtent terriblement cher à la communauté internationale. La moindre « opération de maintien de la paix » se monte en moyenne à 300 millions de dollars par an. Pendant ce temps, les fonds d’appui au développement stagnent à vue d’oeil. À preuve le « rapport Blair » ainsi que l’appel à la mobilisation en vue d’un « plan Marshall » pour l’Afrique.
Alors, ne vaudrait-il pas mieux prévenir ?
La résolution 1603 nous offre une piste de réflexion active. La structure qui sera mise en place pour la Côte d’Ivoire avec l’accord de toutes les parties, y compris de Laurent Gbagbo, devrait se transformer en une structure disponible ou transposable partout où le besoin se fera sentir sur le continent.
Toute élection en Afrique, dont l’organisation annonce à l’évidence conflits et violences, toute situation d’alternance politique porteuse de germes de rébellion devraient susciter l’attention immédiate du Conseil de sécurité et bénéficier de la possibilité d’un encadrement de salut public.
L’Union africaine aurait tout intérêt à saisir la chance de la résolution 1603 – qu’elle a en fait initiée grâce à la médiation de Thabo Mbeki – pour construire avec les Nations unies un vrai partenariat d’efficacité politique.
Elle échapperait ainsi au discrédit que jette sur certaines organisations régionales un comportement qui reste absolument incompréhensible même si l’on ne doit jamais sous-estimer les débordements sauvages de hordes armées au service d’une dictature aveugle.
Sécuriser les élections pour une gouvernance démocratique légitime et respectée,
Renforcer le financement substantiel d’un authentique développement mutuellement profitable,
C’est la voie que dicte la raison. Il est urgent de s’y engager. La résolution 1603 permet d’amorcer ce virage historique.

* La citation exacte est la suivante : « This country with its institutions, belongs to the people who inhabit it. Whenever they shall grow weary of the existing government, they can exercice their constitutional right of amending it or their revolutionary right to dismember or overthrow it » (First inaugural speech – 4th March 1861).

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires