Francophonie : Algériens, encore un effort !

Publié le 26 juin 2005 Lecture : 4 minutes.

Tous les épicuriens le savent : le plaisir authentique n’est pas tant le fruit d’un brusque emportement que le couronnement d’une approche prudente et d’un long commerce. En octobre 2002, on avait pourtant bien cru au coup de foudre, à Beyrouth, lors du Sommet de la Francophonie, entre Abdelaziz Bouteflika, le président algérien, et Abdou Diouf, le nouveau secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
La fiancée était belle : l’Algérie, deuxième pays francophone au monde de par le nombre de personnes qui y parlent le français, affichait sa détermination à s’engager dans la lutte contre l’hégémonie américaine après avoir prouvé son courage dans la résistance à l’oppression coloniale. Et elle s’était apparemment laissé séduire par la mutation opérée au sein de l’ensemble francophone. Fini le « néocolonialisme à visage humain » jadis dénoncé par le quotidien El Moudjahid, qui accusait la Francophonie de gérer le « butin de guerre de la France » en propageant à son profit exclusif la « langue de l’ancien colonisateur ». Tournant le dos à « la nostalgie chatouilleuse du repli sur soi », l’Algérie accepterait désormais le cadre élargi de la nouvelle « communauté d’égaux » francophone, à condition qu’elle puisse y « récupérer son arabité ». Et cela, nul ne le lui contestait.
Mais sans doute était-il alors trop tôt pour « consommer » ou même pour formaliser l’accord, compte tenu du contexte politique et religieux dans lequel s’inscrivait là-bas cette idylle naissante : islamistes et arabisants du sud de la Méditerranée mêlaient leurs protestations pour dénoncer les « soubassements idéologiques » encore présents dans la Francophonie, et le mariage – l’adhésion – fut repoussé une nouvelle fois, au grand regret des cinquante invités à la cérémonie.
Sans que, pour autant, cette dérobade de l’Algérie fût en quoi que ce soit assimilable à une rupture. Ou que la communauté des pays francophones en eût éprouvé un quelconque ressentiment. Bien au contraire. Qu’il s’agisse des multiples entretiens entre le secrétaire général de l’une et le président de l’autre, de l’invitation systématique de l’Algérie – et des réponses invariablement positives de cette dernière – à toutes les rencontres importantes de la Francophonie où elle s’est vu régulièrement attribuer, pour pallier le statut de membre qui lui fait toujours défaut, celui d’« invité spécial » ou de « partenaire d’exception », sans oublier l’adhésion massive des universités algériennes aux programmes de l’AUF (l’Agence universitaire de la Francophonie) ou encore la toute récente réforme de l’enseignement algérien valorisant la place du français dès l’école primaire, les deux « promis » ne se sont jamais tant fréquentés et n’ont jamais tant échangé qu’au cours de ces dernières années, voire de ces derniers mois.
À tel point qu’en novembre 2004, quand le journal algérien El Watan confirma que « l’Algérie n’avait aucune raison de manquer le rendez-vous de Ouagadougou » (le Sommet francophone consacré cette fois à la résolution des conflits et au développement durable), chacun crut à nouveau que les bans étaient publiés. En proclamant que « la Francophonie, c’est le nouveau non-alignement », Abdou Diouf avait, semble-t-il, trouvé les mots propres à sceller une union respectueuse de l’identité de chacun, prévenant ainsi le désir exprimé par Bouteflika d’« exorciser les démons du passé », de « rendre justice au présent et dégager les voies de l’avenir de tous les préjugés comme des tentations de la rancune ».
Las ! Moins de six mois plus tard, sans que rien n’eût été conclu, le président algérien prononçait les propos polémiques que l’on sait sur les massacres de Sétif, survenus il y a soixante ans, et comparait les exactions de l’armée française aux crimes des nazis. Était-ce le retour, sinon de l’ère glaciaire, du moins d’une « ère du soupçon » peu propice à la ratification de l’entrée de l’Algérie dans le giron francophone ?
Avec l’élection d’Assia Djebar à l’Académie française, il semble bien que Paris ait voulu manifester, malgré les avanies et les années, que son attente de l’Algérie était restée la même : en célébrant l’écrivaine francophone née à Cherchell et renommée avant tout pour ses préoccupations transfrontalières, les Immortels ont transmis le message – au Quai d’Orsay, on parle d’un « signe fort » – selon lequel le français n’appartient pas à la France. Et que cette dernière ne saurait être indéfiniment tributaire des actes commis par ses ressortissants au cours de son histoire.
C’est l’occasion de confirmer, dans l’entourage du secrétaire général de l’OIF, que l’Algérie sera, « plus que jamais, accueillie à bras ouverts par la quasi-unanimité de la famille francophone » le jour où elle se décidera, enfin, à surmonter ses dernières rancoeurs pour y prendre la place qui lui revient. On se fait même fort, en ce cas, de lui épargner d’avoir à suivre le parcours compliqué des procédures d’admission habituelles…
Alors, Algériens, encore un effort pour devenir des francophones à part entière !

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