Pierre Clostermann, Sékou Touré et les Portugais

Publié le 26 mars 2006 Lecture : 3 minutes.

Quel lien peut-il y avoir entre le débarquement du 22 novembre 1970 sur les plages de Conakry, qui déclencha une intense répression, et le brillant pilote Pierre Clostermann, qui vient de mourir à l’âge de 85 ans ? Compagnon de la Libération, héros de l’aviation militaire pendant la Seconde Guerre mondiale, as aux trente-trois victoires aux commandes de son chasseur Tempest (qu’il avait baptisé le Grand Charles par admiration pour le général de Gaulle), il a été député gaulliste entre 1946 et 1969 et industriel. Il est également l’auteur du Grand Cirque, un livre sur l’aviation de la France libre.
L’illustre pilote n’a jamais mis les pieds en Guinée et ne s’intéressait pas du tout à la révolution guinéenne. Clostermann est né au Brésil, où son père était diplomate. Il parlait donc le portugais. Grand amateur de pêche sportive et délégué de la Fédération mondiale de pêche en mer, il se rendait régulièrement au Portugal pour pratiquer son sport favori. Dans les années 1960, il se lie d’amitié avec un patron de club de pêche, dans un petit village au sud de Lisbonne. L’un des fils de cet ami, soldat de l’armée portugaise, avait été envoyé en Guinée-Bissau pour y combattre contre les forces de libération nationale du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), dirigé par Amilcar Cabral. Capturé, il est emmené avec d’autres camarades à Conakry, où le PAIGC avait établi son quartier général autour de son leader. Alertée, la famille apprend simplement qu’il est prisonnier en compagnie d’autres militaires portugais dans la capitale guinéenne. Elle supplie alors Clostermann de les aider à le libérer, en demandant le soutien de la France.
C’était l’été 1970. De retour à Paris, Clostermann demande l’avis du président français Georges Pompidou, qui exclut évidemment toute expédition militaire et lui conseille d’aller voir son conseiller, Jacques Foccart. Quelques jours plus tard, Foccart lui remet un dossier contenant une dizaine de photographies aériennes récentes et précises de la ville et des plages de Conakry. Clostermann repart à Lisbonne et prend rendez-vous avec des hauts responsables du gouvernement de Marcelo Caetano et de l’armée, parmi lesquels le général de Spinola, commandant des troupes stationnées en Guinée-Bissau. Le 22 novembre 1970, des bâtiments de la marine portugaise débarquent par surprise à Conakry un contingent militaire, accompagné d’exilés guinéens. Le chef de l’État, Sékou Touré, affirma plus tard que l’on avait choisi la date anniversaire du général de Gaulle (mort deux semaines auparavant) pour cette opération, mais c’était un choix beaucoup plus tactique. Il s’agissait d’une nuit sans lune, avec une marée favorable et, en cette fin de ramadan, les Guinéens étaient plus préoccupés par la fête que par la surveillance des côtes.
Les Portugais parvinrent rapidement à libérer leurs compatriotes, ainsi que des détenus guinéens parmi lesquels figurait d’ailleurs Marof Achkar, qui sera ambassadeur de la Guinée auprès des Nations unies en 1968 avant de périr au camp Boiro, victime des purges. Amilcar Cabral reste introuvable, et pour cause : il était en déplacement en Roumanie.
Les photos aériennes avaient été très utiles pour localiser les sites importants, mais elles ne précisaient cependant pas que le siège de la radio nationale, d’où les exilés comptaient diffuser une proclamation, avait déménagé. Grâce à la mobilisation d’une partie de la population et de sa milice, Sékou Touré parvient à retourner la situation contre les assaillants. Trois soldats portugais furent arrêtés et interrogés par deux missions du Conseil de sécurité et du Comité de décolonisation des Nations unies, avant d’être emprisonnés au camp Boiro. Premier bilan : 300 morts parmi les civils.
Le jeune protégé de Pierre Clostermann faisait partie des Portugais délivrés au cours de l’opération. C’est Clostermann lui-même qui m’a raconté cette étonnante histoire, lors d’un coup de téléphone échangé au mois en août 2002.

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