Un premier pas vers la modernité

Publié le 26 février 2006 Lecture : 3 minutes.

Les Marocains célébreront le mois prochain un demi-siècle d’indépendance. Mais pendant toutes ces années, ils ont été gouvernés par des monarques omnipotents. Les forces de sécurité de feu Hassan II ont arrêté, exilé, emprisonné, torturé ou tué des milliers d’opposants, réels ou supposés, et s’en sont même, à l’occasion, pris à leur famille. Au cours des années 1990, la répression s’est apaisée. Le fils de Hassan II, Mohammed VI, qui lui a succédé en 1999, a mis en place une commission Vérité (baptisée « Instance Équité et Réconciliation ») pour faire la lumière sur les crimes commis sous le règne de son père et celui de son grand-père. C’est une première dans le monde arabe. Les résultats qu’obtiendra cette commission ne manqueront pas d’inspirer ceux, qui, partout ailleurs, aspirent à solder les comptes du passé.

Les membres de la commission ont pu visiter d’anciennes prisons secrètes et interroger leurs gardiens pour tenter de savoir ce qui s’est réellement passé. Ils ont recueilli en toute liberté les témoignages de milliers de victimes, dont certaines ont pu raconter leurs épreuves à la télévision. La commission a également proposé une révision de la Constitution afin de prévenir de nouvelles violations des droits de l’homme et de favoriser l’indépendance de la justice et le contrôle des appareils de sécurité.
L’impact de cette commission a été énorme. Au Maroc, elle a suscité un vaste débat sur le passé et la démocratisation. Au-delà, tous ceux qui dans le monde arabe ont suivi sur Al-Jazira ses auditions publiques se demandent pourquoi on n’en fait pas autant dans leurs propres pays.
C’est grâce au roi que la commission a pu voir le jour. Il lui a alloué un budget substantiel qui lui permet d’accorder des indemnités et une assistance médicale aux victimes. Il a eu aussi le courage de reconnaître un fait essentiel : ces crimes n’étaient pas des actes isolés, mais une politique d’État. Il a enfin approuvé les recommandations de la commission.

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Mais la volonté de réforme du souverain n’est pas sans limite. Il est révélateur que la commission n’ait jamais pris à son compte ce qui tombe pourtant sous le sens : c’était bien la monarchie qui était en cause dans ces violations des droits de l’homme. Alors que de nombreux coupables restent en fonction dans les services de sécurité, rien n’est proposé pour les traduire en justice. Le roi n’a pas présenté d’excuses officielles aux victimes et a préféré s’en décharger sur son Premier ministre.
Il est de fait que les atteintes aux droits de l’homme n’ont pas complètement pris fin au Maroc. La justice y reste strictement contrôlée, les forces de sécurité continuent de recourir à la torture et l’on jette toujours en prison des gens qui disent ou écrivent des choses jugées insultantes pour la monarchie. Après les attentats terroristes de Casablanca, en 2003, on a arrêté des milliers d’individus et promulgué des lois antiterroristes dont le champ d’application est dangereusement étendu. Il suffirait d’un nouvel attentat pour que toutes les réformes soient remises en question. Les violations perdureront tant que certains individus resteront au-dessus des lois. En célébrant le cinquantenaire de l’indépendance, Mohammed VI a une occasion historique de faire entrer de plain-pied le Maroc dans le monde moderne, à condition d’engager des réformes qui limiteraient tant soit peu ses pouvoirs.

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