Ali Dilem, dessinateur iconoclaste

Publié le 26 février 2006 Lecture : 3 minutes.

C’est un rituel : tous les mardis, Ali Dilem, le dessinateur du quotidien Liberté, est convoqué au tribunal d’Alger. Et tous les mardis, il s’efforce de justifier devant un juge ses dernières irrévérences. Inlassablement, il explique qu’il ne s’agit que de caricatures, de « Mickeys », qu’il ne faut quand même pas prendre trop au sérieux. Très souvent, l’affaire ne tourne pas à son avantage et les condamnations à des peines d’emprisonnement, avec ou sans sursis, s’accumulent : il en compte une vingtaine, représentant un total de neuf années de détention.
« Pour l’instant, je ne suis jamais allé en prison, confie-t-il à une journaliste de l’hebdomadaire français Paris-Match. Disons que j’ai un excellent avocat ! » Depuis le dernier amendement du code pénal, en mai 2001, les journalistes travaillent en permanence avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Les nouveaux textes prévoient de lourdes sanctions pour tout article ou dessin jugé offensant ou diffamatoire à l’égard du chef de l’État, de l’armée, des deux Chambres du Parlement, des cours de justice et des tribunaux. Les peines vont de trois à douze mois de prison ferme, assortis d’une amende comprise entre 50 000 dinars et 250 000 dinars (570 euros et 2 860 euros).
« Au cours des quinze dernières années, nous avions beaucoup avancé en matière de liberté de la presse, mais cette liberté est aujourd’hui sérieusement menacée », se désole le caricaturiste. Depuis juin 2004, quatre directeurs de journaux et deux correspondants locaux ont été placés en détention pour des motifs divers. Et l’on craint le pire pour ceux dont les procès sont en cours. À commencer par Dilem.
Né le 29 juin 1967 à El-Harrach, une banlieue déshéritée d’Alger, le dessinateur est un pur produit de l’insurrection d’octobre 1988, qui mit fin au régime du parti unique. Les émeutes, la répression, Dilem en garde un souvenir amer. « C’est là que je me suis découvert une âme un peu contestataire », dit-il. Étudiant à l’École des beaux-arts, il publie son premier dessin en 1989 dans Alger Républicain, le quotidien du Parti communiste. Sa « victime » ? Chadli Bendjedid, qui, dans une conférence de presse, venait d’avouer sa passion pour le tennis. Transcription du propos présidentiel par Dilem : « J’adore le racket ! » Le dessin fait sensation, mais son auteur n’est pas inquiété. C’est l’époque où l’Algérie découvre les charmes – et les excès – de la liberté d’expression. Les interdits tombent, Caricaturistes et chroniqueurs s’enflamment La presse algérienne est alors la plus libre du monde arabe.
Impertinent, parfois méchant, Dilem s’en donne à cur joie. Sous sa plume, Bouteflika devient un nain aux cheveux clairsemés et tressés en couette. Les généraux ? Des analphabètes ventripotents aux poches pleines de pétrodollars. Les terroristes ? Des tueurs qui égorgent leurs victimes avec un sourire béat. Les juges ? Des fonctionnaires qui obéissent au doigt et à l’il. Le peuple algérien ? Un chien à qui l’on tend un os. Un vrai jeu de massacre. Au sein de la rédaction de Liberté, Dilem jouit d’une liberté absolue. Le patron du quotidien ne songe même pas à le censurer : il a trop peur qu’il démissionne ! « Depuis que j’ai commencé à dessiner, j’ai toujours voulu tout désacraliser. [] Mes dessins sont comme un cri de douleur que je crache sur une feuille de papier », commente l’auteur.
Aujourd’hui comme hier, Dilem se moque de tout, brocarde l’incurie des politiques, ironise sur la psychose de la grippe aviaire et stigmatise les violences contre les femmes. En 2004, il s’est attiré les foudres des imams en publiant un dessin jugé blasphématoire. Au mois de février précédent, 244 pèlerins étaient morts écrasés dans une bousculade à La Mecque. Dilem place dans la bouche de Jean-Paul II ce commentaire laconique : « Pour la Chandeleur, on a eu des galettes de sarrasin. » Personne, sur le continent, n’est allé aussi loin.
Irait-il, comme ses confrères danois, jusqu’à caricaturer le Prophète ? Oui, si l’on en juge par ce dessin datant de 2003 où l’on voit Mohammed, émergeant d’un nuage, adresser un bras d’honneur aux fidèles en pleine prière de la pluie. Non, parce qu’il ne dessinerait en aucun cas l’envoyé de Dieu avec un turban en forme de bombe. Il a déjà bien assez d’ennuis comme ça !

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