Que reste-t-il du 1er novembre ?

Publié le 26 janvier 2005 Lecture : 3 minutes.

L’appel au peuple algérien lancé par une poignée de militants indépendantistes aux premières heures de l’insurrection armée passe pour l’acte fondateur du Front de libération nationale (FLN). Pourtant, un demisiècle plus tard, le nombre d’Algériens ayant lu au moins une fois le texte intégral de la déclaration du 1er Novembre se réduit comme peau de chagrin. Plus grave, la sacralisation même de ce document en a empêché toute lecture critique.
La Révolution ? Toute la classe politique, ou presque, s’en réclame encore. Les islamistes du Front islamique du salut (FIS), dissous en mars 1992, et son président,
Abassi Madani, principal artisan de la rébellion islamiste qui faillit renverser la République au début des années 1990, plaçaient ostensiblement leur action « dans la continuité de Novembre ». Leurs principaux adversaires, les généraux « éradicateurs » qui
menèrent la lutte contre le terrorisme, affirment eux aussi s’en inspirer. Partout, dans
tous les postes de commandement de l’état-major général des forces armées aux PC des unités opérationnelles , le texte de la déclaration trône, soigneusement encadré, au-dessus du bureau du chef. Juste à côté du portrait du président de la République. « Je lis la déclaration une fois par jour, après la levée des couleurs ; c’est presque un
rite », jure un officier supérieur dans la caserne d’Ali-Khodja, au siège du ministère de la Défense, à Alger.
Le problème est que le 1er Novembre n’est plus aujourd’hui une date sacrée pour la majorité des Algériens. Source de légitimation d’un pouvoir corrompu, la Révolution a servi d’ascenseur social à toute une catégorie de personnes qui, somme toute, n’avaient fait que leur devoir. Du coup, les jeunes ont fini par se détourner de leur histoire et d’une révolution qui leur a pourtant donné un pays, des écoles, des universités, des hôpitaux… « Il n’y en a que pour les moudjahidine, comme si c’était notre faute d’être nés trop tard pour participer à la guerre de libération », explique l’un d’eux, résumant le sentiment général.
En fait, les termes mêmes de la déclaration du 1er Novembre portent en eux les germes de futures exclusions. Dès le premier paragraphe, les nationalistes hostiles à la solution militaire y sont qualifiés de « politicailleurs véreux ». Tous ceux qui, comme Messali Hadj, père du nationalisme algérien, étaient convaincus que l’indépendance était possible par d’autres moyens, moins coûteux en vies humaines, moins destructeurs pour le tissu
social, ont été effacés des tablettes de l’histoire officielle.
La déclaration esquisse les grandes lignes du programme du FLN : l’indépendance nationale, l’instauration d’un État souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques, le respect des libertés fondamentales, le rejet de toute discrimination fondée sur la race ou la confession, etc. Un demi-siècle plus tard, force est de reconnaître que seul l’objectif de l’indépendance a été atteint. L’unité nord-africaine reste un vu pieux, et le cadre arabo-musulman, pour « naturel » qu’il soit, a surtout eu pour effet d’évacuer la dimension berbère du peuple algérien. Quant à la liberté de culte, il suffit de considérer le nombre d’églises et de synagogues brûlées ou transformées en mosquées pour se convaincre que les grands principes ont été oubliés en chemin, quoi qu’en disent ceux qui se sont succédé au pouvoir depuis 1962.
Bien sûr, il y a eu des martyrs, des dizaines de milliers de héros anonymes, des femmes qui se sont bravement battues aux côtés des hommes… Bien sûr, il y a eu l’indépendance et le statut de citoyen enfin accordé aux musulmans… Mais tout cela n’a qu’une importance relative aux yeux de la grande majorité des Algériens d’aujourd’hui. Ce qu’ils retiennent surtout de la déclaration du 1er Novembre, c’est qu’elle a suscité l’apparition d’une « famille révolutionnaire » dont les membres accaparent le pouvoir depuis 1962. Et la mise en place de dogmes utilisés par les conservateurs pour empêcher la moindre avancée démocratique. Soit l’exact contraire des promesses de Novembre.

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