Élections et bain de sang

Publié le 26 janvier 2005 Lecture : 4 minutes.

On aura beau chercher, il n’y a nulle trace dans l’Histoire d’un processus électoral tel que celui qui se déroule aujourd’hui en Irak, en prévision du scrutin du 30 janvier. Le décor ? Un pays sous occupation, sans État ni véritable administration, baignant dans une violence inouïe et menacé d’implosion par émiettement ethnique ou religieux. Censé être en campagne électorale, l’Irak vit au rythme non pas des meetings populaires ou des débats contradictoires, mais des attaques-suicides, des enlèvements et des explosions de voitures piégées. Aucune catégorie sociale, aucune région n’est épargnée. La détermination, sans cesse réaffirmée, de l’administration américaine de mener à bien son projet « démocratique » tient plus de la méthode Coué que du bon sens. La communauté internationale est soit réduite au rang de spectateur passif, soit obligée d’accompagner et de soutenir, sans conviction, les élections.

Les forces d’occupation et le gouvernement qu’elles ont mis en place accumulent les erreurs d’appréciation. Au plan militaire, la stratégie de la coalition pour mettre un terme aux actes de la guérilla a montré ses limites. La bataille de Fallouja, bastion présumé des groupes armés, a tourné au carnage, et son coût – des milliers de tués, dont une centaine de marines, et la destruction de la quasi-totalité de la ville – est inversement proportionnel au résultat acquis. La résistance n’a rien perdu de ses capacités de nuisance, et ses actions sont de plus en plus sophistiquées. La plus spectaculaire a été l’oeuvre, le 21 décembre, à Mossoul, d’Ansar al-Sunna. Ce mouvement salafiste kurde, membre de la nébuleuse al-Qaïda, neutralisé, selon un communiqué du Pentagone, en avril 2003, avant même la chute de Saddam Hussein, a revendiqué l’attaque contre le réfectoire du camp Marez, à l’heure du déjeuner, à proximité de l’aéroport de Mossoul, dans la province de Niniwe, proche du Kurdistan.

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Selon le communiqué du groupe salafiste, version confirmée par le général Richard Myers, patron de l’armée américaine, un kamikaze a pu pénétrer dans l’enceinte du camp, traverser la caserne et parvenir à actionner son engin de mort dans le réfectoire pour faire le maximum de victimes (voir encadré). Si l’enquête en cours confirmait cette version des faits, le dispositif de sécurisation des cantonnements de l’US Army devrait totalement être revu. Un nouveau revers pour le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, dont la gestion du dossier irakien est de plus en plus contestée, y compris dans son propre camp, les néoconservateurs au pouvoir.

Au plan politique, ce n’est guère plus brillant. Le refus de prêter l’oreille aux multiples appels des courants idéologiques irakiens, notamment sunnites, réclamant un report des élections, a accentué le fossé entre les différentes communautés religieuses. Les chiites, convaincus que la consultation électorale à venir est le chemin le plus court pour accéder enfin au pouvoir, sont désormais perçus par la guérilla comme des suppôts de l’occupation.
Certes, les attentats de Nadjaf et de Kerbala du 19 décembre (60 morts et 130 blessés, tous irakiens) ne sont pas les plus sanglants que les deux villes saintes aient connus, mais la multiplication d’assassinats, moins médiatisés, de dignitaires ou de dirigeants politiques des deux communautés annonce une cohabitation difficile entre chiites et sunnites. Abdallah Djannabi, coordinateur de la résistance à Fallouja, donné pour mort et peut-être reclus dans une cave de la ville martyre, a dénoncé le silence des marjaa (les dignitaires religieux chiites) lors des bombardements de la Cité des mosquées : « Quand, en mai, Nadjaf était secoué par les bombes américaines, nous avions dépêché des commandos pour alléger le siège de la ville. En novembre, la résistance à Fallouja n’a reçu aucun renfort. Pis, les imams se sont terrés dans le mutisme. »

Pendant ce temps, les Nations unies, tout en déplorant la poursuite des violences, affirment que la préparation des élections obéit au calendrier établi par la Commission électorale indépendante irakienne.
Le Pakistanais Ashraf Qazi, envoyé spécial de l’ONU en Irak, affirme que l’établissement du fichier électoral s’est achevé, sans autre précision quant à sa taille ou à la méthode de recensement. Le 16 décembre, au lendemain de la clôture du dépôt des candidatures, on relève la participation de 237 « entités politiques » qui présentent 11 000 candidats. Le Pakistanais relève dans son dernier rapport, daté du 8 décembre, que « les prochaines élections auront pour objet d’élire l’Assemblée nationale de transition, les Conseils de gouvernorat et l’Assemblée nationale du Kurdistan ». L’Assemblée de transition devra élaborer, avant le 15 août 2005, un projet de Constitution qui sera soumis à référendum le 15 octobre. Deux mois plus tard, les Irakiens seront de nouveau appelés aux urnes pour élire, le 15 décembre, leur nouveau gouvernement.
Cette assurance contraste avec la situation de l’ONU en Irak. Bien qu’ayant affirmé à plusieurs reprises que « l’occupation de l’Irak est illégale », Kofi Annan n’a d’autre choix que d’accompagner ce qui lui paraît être la meilleure sortie possible de l’impasse à laquelle a conduit l’aventurisme de Bush.

La prudence reste cependant de mise. Les effectifs de la Mission d’assistance de l’ONU en Irak (Manui) sont de 220 personnes, parmi lesquels 154 gardes fidjiens. Les cinquante experts affectés à la préparation du scrutin du 30 janvier sont basés à… Amman ou à Koweït City. C’est dire leur efficacité.

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