L’année des interrogations

Publié le 26 janvier 2005 Lecture : 5 minutes.

À la fin de décembre, dans le dernier éditorial de l’année, je m’efforce de discerner les lignes de force qui pourraient donner sa configuration à l’année suivante et vous décris ce que je vois.
Mais, en cette fin d’année 2004, j’ai beau me plonger dans les dossiers, ils ne révèlent aucune ligne de force et, par conséquent, ne permettent pas d’appréhender ce que nous apportera l’année 2005. Quant aux déclarations et aux promesses des dirigeants, elles sont tellement contradictoires qu’elles ne débouchent sur aucun schéma plausible.
En un mot comme en mille, pour la première fois depuis très longtemps, l’avenir immédiat ne se présente, à qui tente de le cerner, que sous la forme de points d’interrogation : on dirait que le destin hésite et qu’à l’orée de 2005 des facteurs de force égale tirent la planète dans des directions opposées.
Je vous propose de regarder tout de même de plus près pour voir si, passées en revue, les principales interrogations relatives à 2005 assombrissent l’horizon ou, à l’inverse, l’éclairent.

1. Commençons par l’Afrique et interrogeons-nous plus particulièrement sur les conflits qui aggravent le retard pris par le continent. Ils sont au nombre de trois, dont l’année 2004 a hérité et qu’elle transmettra à 2005 :
– À l’est du continent, celui du Soudan. Il s’agit d’une double guerre civile : alors que la plus ancienne, au sud du pays, est, au bout de quarante ans, en voie de règlement, celle qui a éclaté en 2003 au Darfour, dans l’ouest, menace chaque jour d’échapper à tout contrôle.
– À l’ouest de l’Afrique, le conflit qui divise les Ivoiriens et perturbe toute la région entrera, en 2005, dans sa sixième année.
La dernière ? Qui peut le dire…
– Au centre sévit ce qu’on appelle « la guerre des Grands Lacs » : c’est un vaste foyer de tensions où s’entrecroisent plusieurs affrontements. À peine une éruption est-elle résorbée, une autre se produit.
Coûteuse en vies humaines, source de misère, facteur d’instabilité et de recul, cette guerre n’en finit pas de finir… depuis près de dix ans.
Qui peut dire, à l’aube de 2005, lequel de ces conflits trouvera une solution et lequel s’aggravera ? Est-il réaliste de pronostiquer que, la chance et/ou la lassitude des belligérants aidant, les trois conflits s’apaiseront ? Est-il exclu que la mauvaise foi et l’intérêt mal compris des protagonistes prévalent, au contraire, sur les efforts et la patience des faiseurs de paix ?

la suite après cette publicité

2. Deuxième source d’interrogation : la guerre d’Irak. Jusqu’ici, elle a défié toutes les prévisions.
C’est la plus grande puissance du monde qui l’a voulue, dès le début de 2002, et l’a déclenchée en 2003. De promenade militaire qu’elle a donné l’impression d’être en mars-avril 2003, elle s’est muée en guerre d’usure.
Très meurtrière – et très coûteuse – pour les Irakiens tout particulièrement, mais aussi pour l’Amérique et ses alliés, dans les rangs desquels on décompte entre 50 et 100 tués par mois et dix fois plus de blessés (voir page 10).
Sans oublier les 5 à 10 milliards de dollars (empruntés par l’Amérique au reste du monde) engloutis mensuellement par ce puits sans fond.
Fin décembre 2004, une majorité d’Américains (de 56 % à 57 %) en étaient arrivés à penser :
– que le président, qu’ils venaient pourtant de réélire triomphalement, n’aurait pas dû commencer cette guerre ;
– que lui et le secrétaire à la Défense, qu’il s’obstine à maintenir à son poste, ne la conduisent pas très bien ;
– et qu’au surplus elle n’est pas utile pour les États-Unis.

Qui peut dire aujourd’hui si l’hostilité grandissante des Américains à la guerre s’aggravera dans les prochains mois, au point d’obliger George W. Bush à renoncer, en 2005, au dessein irakien élaboré en 2002 ? Ou si, au contraire, l’hôte de la Maison Blanche réussira à installer à Bagdad un pouvoir stable et à sa solde avant que son opinion, des problèmes d’argent – ou un imprévu – ne l’obligent à rapatrier ses troupes ou à les transférer sur un autre front ?
Qui sait, en cette fin de décembre 2004, si les insurgés irakiens ont assez de ressources pour poursuivre et renforcer leur combat contre l’occupation et infliger à leur ennemi, en 2005, suffisamment de revers pour l’obliger à renoncer ou à composer ?

3. Dans la même région, tout près, un autre affrontement, et qui dure depuis près d’un siècle : le conflit israélo-palestinien, partie d’un conflit plus vaste qui oppose Israël au monde arabe dans son ensemble.
Tous les commentateurs, ces jours-ci, nous disent que l’affrontement va enfin trouver sa solution maintenant que « l’obstacle à la paix » qu’était Arafat a été « rappelé » par Dieu.
Des pompiers éminents et qui se jugent qualifiés – messieurs Bush, Blair, Moubarak – entourent le général Ariel Sharon et le futur probable président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas pour éteindre l’incendie.
Le président syrien assure qu’il ne sera pas en reste.
Qu’il ne soit qu’un simple hors-d’oeuvre ou le plat de résistance, le plan Sharon d’évacuation de Gaza – cautionné désormais par Shimon Pérès – est là pour nous faire croire que « la paix est à l’horizon » et qu’en tout état de cause « ça va bouger ».

Ne vous étonnez pas si vous entendez dire dans les prochaines semaines qu’il y a du de Gaulle dans le général Sharon. Beaucoup vont tenter de nous en convaincre : Ariel Sharon n’est-il pas à la veille de brader courageusement les colonies qu’il a lui-même installées ? N’encourt-il pas la colère des colons, comme de Gaulle, naguère, celle des pieds-noirs ?
Ne vient-il pas de parler à nouveau de « concessions douloureuses » – qu’il se garde de définir – et d’évoquer « l’État palestinien » – non délimité – qui libérera Israël du fardeau que représente pour lui l’obligation d’administrer des millions de Palestiniens ?

la suite après cette publicité

L’État palestinien, dont on attendait la naissance pour que la paix, qui s’est dérobée tout au long du XXe siècle, s’instaure au Proche-Orient dès le début du XXIe, aura donc deux parrains qu’on n’attendait pas dans ce rôle : George W. Bush et Ariel Sharon !
Tony Blair, Hosni Moubarak et, peut-être, Mahmoud Abbas leur serviront de « lubrifiants ».
Si vous y croyez, tant mieux pour vous.
Pour moi, ce schéma ne fait qu’ajouter une interrogation supplémentaire à celles énumérées plus haut : comment diable, quels que soient leur talent et leur puissance de conviction, Sharon et Bush pourront-ils convaincre qui que ce soit de sérieux que « l’État » palestinien qu’ils ont en tête de proposer, dont ils se gardent soigneusement de dire quel territoire il couvre et où il s’arrête, est viable et acceptable ?

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires