Vos lettres et emails sélectionnés

Publié le 25 décembre 2005 Lecture : 7 minutes.

Il faut juger l’ancien président tchadien
Ce n’est ni la première, ni la dernière fois que je me penche sur nos dictateurs. J’ai été déçu par le refus de la justice sénégalaise de remettre Hissein Habré à un tribunal international (voir J.A.I. n° 2343), ainsi que par les manifestations de joie des
institutions et des personnalités civiles et religieuses amies du dictateur. Comment oublier les tortures et la mort d’innocents et de patriotes, ainsi que le vol du coffre-fort de l’État, emporté dans le ventre de l’avion vers le Sénégal ? Il faut que le jugement d’Habré crée un précédent et perturbe le sommeil des Charles Taylor et autres
Mengistu, qui vivent dans le luxe en exil.

Un nouveau « Sopi » pour l’Afrique
Les théories économiques appliquées par les bailleurs de fonds à l’Afrique ne résolvent pas les problèmes de fond. L’Afrique, laboratoire d’expériences, ne devrait pas se mettre en marge de son propre épanouissement en s’administrant des recettes développées dans l’imagination du monde occidental.
Au contraire, comme la Chine, elle doit mettre sur pied des théories qui tiennent compte de son histoire, de ses réalités sociales et de son dynamisme. Dire des pays du Tiers Monde qu’ils sont en voie de développement revient à dénigrer leurs capacités à innover. Il ne faut plus considérer le modèle occidental comme une finalité impossible à atteindre, à cause d’une trop grande dépendance mentale et économique. Je propose qu’on parle de « Sociétés à fort potentiel d’innovation » ou Sopi. On décomplexerait ainsi
toutes ces sociétés et on libérerait leur génie caché. Cela ne vous rappelle-t-il pas le célèbre slogan d’un des leaders du continent, Abdoulaye Wade ?

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Israël-Maghreb : pas de fumée sans feu
J’ai lu attentivement l’ouvrage de l’universitaire israélien Michael Laskier Israël et le Maghreb : de la fondation à l’État d’Oslo, (University Press of Florida, 2004). C’est un livre-événement pour ceux qui ignorent que la vraie politique se noue dans les coulisses.
Les archives de tout pays cachent souvent des bombes à retardement.
La première et plus grande partie du livre dévoile avec moult détails, photos, documents et fac-similés les relations plus que cordiales entre Israël et le Maroc, une coopération
fructueuse au plus haut niveau depuis fort longtemps. On y lit, entre autres, que la garde personnelle de feu le roi Hassan II fut formée et entraînée par le Mossad, en Israël. Vrai ou faux ?
La deuxième partie concerne les relations Israël-Algérie. J’y relève une information choquante, voire surréaliste, au risque de scandaliser l’Algérien moyen. D’après l’auteur, photo à l’appui, l’arrière-petit-fils de l’émir Abdelkader de marxiste est
devenu sioniste militant, jusqu’à prendre un nom hébreu et mourir à 85 ans en Israël. Lévi Eshkol en personne lui octroya la nationalité israélienne. Vrai ou faux ?
La troisième partie consacrée à la Tunisie et Israël est des plus attachantes. On y voit Bourguiba, ami complaisant d’Israël et pour cause : toujours d’après l’auteur, l’État d’Israël aurait proposé le président Bourguiba pour le prix Nobel de la paix, après son
fameux discours de Jéricho en 1965. Par l’entremise de son ambassadeur à Washington, le président de l’université de Brasília a présenté la candidature de Bourguiba au Comité
Nobel d’Oslo, qui l’a rejetée [sic]. Certes, Bourguiba avait de grands amis juifs tels que Mendès France. Il est le seul chef d’État arabe à avoir nommé un ministre juif tunisien (André Baruch) dans le premier gouvernement tunisien indépendant (1956). Mais
de là à le montrer comme l’ami « occulte » d’Israël ? Bidonnage ou intox ?
Le livre de Michael Laskier abonde en révélations fracassantes. Pour un esprit critique, ce n’est ni de la politique-fiction ni une parole d’Évangile. Les sceptiques ont douté de la Bible et du Coran, mais, honnêtement parlant, il n’y a pas de fumée sans feu, dixit
vox populi !
Réponse : Le livre de Michael M. Laskier offre l’avantage de signaler en notes les sources de ses informations. Ce qui permet d’écarter toutes celles qui paraissent approximatives, fantaisistes, voire farfelues, et de retenir celles qui sont sérieusement
étayées. C’est ce que je me suis efforcé de faire en travaillant sur le Mossad et
l’affaire Ben Barka (voir J.A.I. n° 2338).
D’autre part, je vous rappelle qu’une personnalité juive siégeait dans les premiers
gouvernements du Maroc indépendant : Léon Benzaquen (ministre des PTT). Plus récemment,
Hassan II avait appelé au « gouvernement des technocrates » Serge Berdugo (Tourisme). Sans oublier André Azoulay, conseiller de Hassan II et de Mohammed VI.

À Bruxelles ou ailleurs
J’ai été sidéré par la lecture de l’article sur les crimes de Hissein Habré (voir J.A.I. n° 2343). Il a pillé le Tchad et fait tuer ceux qui « ouvraient les yeux ». Il doit être jugé pour le repos de l’âme de ses victimes. À Bruxelles, N’Djamena ou Douala, peu importe, mais il doit comparaître devant un tribunal.

Immigration choisie en France
Le Premier ministre français a déclaré : « Nous voulons accueillir les meilleurs étudiants, les plus motivés, ceux qui ont des projets d’études de haut niveau. » Qu’est-ce
que l’Europe, et en particulier la France, demande à l’Afrique ? Nos richesses émigrent vers le Nord grâce à de grandes entreprises européennes. Maintenant, on désire que nos têtes pensantes aient le droit d’émigrer. Le projet inavoué a-t-il pour objectif de faire de ces personnes des résidents à qui l’on offrira la nationalité, même s’ils ne la
demandent pas ? Est-ce une invitation au non-retour dans leur pays d’origine ? La France aura donc le double avantage d’avoir des intellectuels pour combler son déclin démographique et leurs enfants ne brûleront pas les quartiers populaires. Mais de quoi vivront ceux qu’elle rejette ?

Contrebande au Cameroun
Dans « Le Plus de l’Intelligent » sur le Cameroun (voir J.A.I. n° 2343), les industriels se plaignent des fraudes, des contrefaçons et de la contrebande. Certes, ces facteurs handicapent leurs activités et l’économie du pays, mais il faut savoir que les produits
camerounais sont souvent de moins bonne qualité. Tout le monde sait que le pagne nigérian vendu 2700 F CFA est, de loin, de meilleure facture que le pagne local à 5000 F CFA. Il en est de même pour les matériaux de construction et les biens de consommation courante. Comment, dans ces conditions, la contrebande ne serait-elle pas stimulée ?

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Habré doit répondre de ses actes
Hissein Habré, l’ancien président tchadien, doit répondre de ses actes devant un tribunal qui, à défaut d’être africain, peut être européen. Cela sonnera la fin de l’impunité des dictateurs africains qui pensent encore avoir droit de vie ou de mort sur leurs concitoyens. Je songe aux millions de Tchadiens qui ont perdu un fils, un frère, un père et n’ont que leurs yeux pour pleurer. Pour tout dirigeant du Nord comme du Sud, la justice
est souvent un plat qui se mange froid. Nous finissons tous par être rattrapés par nos actes.

Les atouts de Konan Banny
Félicitations à Charles Konan Banny pour sa nomination à ce poste sensible de Premier ministre de Côte d’Ivoire. Il a l’envergure pour le tenir. Sa longue expérience et ses
compétences sont des atouts pour la primature d’aujourd’hui. Espérons qu’il ne rejoigne pas la cohorte des hauts fonctionnaires africains, brillants dans des fonctions
internationales mais qui se fondent dans le rang dès qu’ils respirent l’air de leur pays natal.
Merci pour le dossier sur le nord de la Côte d’Ivoire. Vraiment étrange est ce pays qui, en dépit de tous les obstacles, ne sombre pas comme ses voisins libérien et sierraléonais.
C’est ça aussi, le « miracle ivoirien ».

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Au bon temps des colonies
Les héritiers de Jules Ferry et d’Ernest Renan ont fait entendre leur voix au Parlement français en votant une loi qui stipule que « les programmes scolaires reconnaissent, en
particulier, le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord… ». En effet, la colonisation fut positive, les coffres des banques et les musées
occidentaux en conservent le souvenir. Peut-on reprocher à ceux qui veulent réhabiliter la colonisation de vouloir magnifier le temps des voleurs, des violeurs, des détrousseurs
et des fossoyeurs ? Après tout, la colonisation, la traite négrière et l’esclavage ont enrichi la France.
On me rétorquera qu’il ne s’agit pas de cela, mais de reconnaître les « sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires et leur donner la place éminente
à laquelle ils ont droit. » Le pays ne s’est jamais soucié des supplétifs de son armée, l’Histoire devrait-elle faire les frais de ses remords tardifs ?

Marcel Péju, la voix de la raison
J’ai appris le décès de Marcel Péju, auprès de qui j’ai eu l’honneur de travailler. Un privilège rare, qui m’a fait découvrir ce qu’était un Juste là où d’autres disent un
saint. Marcel incarnait la résistance à tous les totalitarismes et les fanatismes. C’était un prince de l’esprit, exigeant pour lui-même comme pour les autres, fidèle en amitié et éclectique dans ses goûts et ses passions. À l’heure où certains parlementaires
font voter une loi relative aux aspects « positifs » de la colonisation, il faut rappeler le combat qu’il a mené, après son engagement dans la Résistance, en faveur de l’Algérie indépendante et sa constante dénonciation de ce péché originel contre l’esprit qu’est la tentative de domination d’un peuple par un autre. Fasciné par la culture juive, il était
naturellement et tranquillement antisioniste, au nom d’une passion pour l’universel qui lui fit défendre autant Solidarnosc que Salman Rushdie. Il avait rencontré Mandela au début des années 1960 et était, pour une foule de gens, l’incarnation du meilleur de
l’esprit français. Il aimait la vie et mon épouse me rappelait récemment ces dîners qu’il nous invitait à partager, en distillant souvenirs et bons mots. À Jeune Afrique, il faisait entendre sa différence et la voix de la raison, contre toutes les formes de pensée
unique ou de manichéisme, usant d’un humour féroce et d’une verve qui n’était jamais
cruelle.

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