Promesses ivoiriennes

Publié le 25 juin 2006 Lecture : 4 minutes.

En cette période de Coupe du monde, notre temps et nos pulsions sont rythmés par la magie du ballon rond. La tentation est grande de comparer le football au processus de paix. L’un et l’autre mettent en scène des adversaires/acteurs, un arbitre impartial. L’un et l’autre sont tenus d’accepter des règles du jeu égales pour tous.
À la différence du football, le processus de paix n’est pas un jeu. Il est un combat entre ce que l’homme a de meilleur (la capacité d’aimer et l’intelligence) et ce qu’il a de pire (la haine et l’énergie de destruction). Il est un corps à corps de longue haleine entre la raison et l’instinct, et révèle parfois l’absurdité des situations où l’homme devient un loup pour l’homme au lieu d’en être l’alter ego et le sauveur.
Contrairement au football, le processus de paix intervient après de violentes confrontations avec leur cortège de morts, de femmes et filles violées, de personnes déplacées, de biens matériels saccagés. Il est initié après l’échec des hommes à porter un regard intelligent sur eux-mêmes. Ceux qui sont chargés de l’extérieur de contribuer à la mise en place d’un tel processus sont rarement populaires. Ils sont vus comme des intrus venus au secours d’un couple déchiré.

Si la hargne de gagner des Éléphants n’a pas été récompensée par les résultats escomptés, rien ne devrait faire oublier leurs prestations lors de la dernière Coupe d’Afrique des nations et leur qualification à la Coupe du monde. L’équipe est un bel exemple du pays dont nous rêvons. Elle symbolise la Côte d’Ivoire telle qu’elle devrait être et telle qu’elle devrait rester. C’est le pays en miniature dans ses émotions communes, sa diversité enrichissante, ses différences gommées et ses clivages vaincus. Nous avons décelé chez les Éléphants une volonté de réussir que l’on voudrait voir sur le terrain politique avec des acteurs généreux, se retrouvant comme un seul être, ayant comme seule équipe leur pays et comme unique ambition la paix.
Le niveau actuel du processus justifie une telle attente et l’impose. Depuis six mois, des avancées importantes ont été enregistrées : formation du gouvernement après la nomination du Premier ministre ; participation effective de tous les ministres aux activités gouvernementales ; présence de tous les acteurs sur le sol national ; reprise du dialogue militaire ; et, plus récemment, début des opérations de préregroupement et des audiences foraines devant conduire à l’identification. Au cours des six derniers mois, deux images fortes méritent l’attention. La première est celle du sommet de Yamoussoukro du 28 février 2006. Elle a frappé les esprits et galvanisé les populations dans une ferveur proche du délire que seul le football peut arracher aux peuples férus de ballon rond. Du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest en passant par le Centre, la Côte d’Ivoire a semblé parler d’une même voix. Ses principaux leaders politiques ont prouvé le mouvement en marchant, montrant ainsi que la Côte d’Ivoire qui gagne est la Côte d’Ivoire unie, et la Côte d’Ivoire unie est la Côte d’Ivoire qui gagne.
Le désarmement, l’identification, le rétablissement de l’autorité de l’État sur tout le territoire, l’organisation des élections et le respect des droits de l’homme restent les points cardinaux. Des progrès y ont été notés. Mais attention au paradoxe ivoirien que constitue cette folle farandole au bord du précipice. Tout se passe comme si le bonheur n’arrive que lorsque l’on ne l’attend plus. Ainsi, pour impressionnantes qu’elles soient, les percées enregistrées n’en restent pas moins fragiles. Il faut transformer le bel essai qu’ont constitué les opérations d’audiences foraines et de préregroupement. Il ne faut pas avoir peur de la paix et, comme j’ai coutume de le dire, il faut prendre des risques pour la paix.
La deuxième image a eu pour cadre Sebroko, le siège de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci). L’inauguration des locaux a réuni le président Laurent Gbagbo, le Premier ministre Charles Konan Banny et le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Côte d’Ivoire. C’est l’image de la Côte d’Ivoire qui regarde dans la même direction avec l’appui de la communauté internationale.

la suite après cette publicité

Le chef de l’État ivoirien a adressé un message fort et tenu des propos de clarté en indiquant que sa présence signifiait son appui au travail de l’Onuci dans son pays.
À son tour, l’Onuci voudrait réitérer son appui à la Côte d’Ivoire et aux Ivoiriens pour la sortie rapide de crise avec l’organisation d’élections libres, transparentes, démocratiques et ouvertes à tous. À ce sujet, il est important pour tous les acteurs d’observer une attitude qui s’apparente à un code d’honneur par rapport aux consultations électorales, non seulement en acceptant les résultats, mais en sachant que seule la Côte d’Ivoire sortira grandie d’un scrutin sans tache. Une Côte d’Ivoire où il n’y aura pas de perdants, mais seulement des vainqueurs, car rien ne peut se faire sans paix et réconciliation. C’est pour cette raison qu’il ne faut pas avoir peur de la paix.

* Pierre Schori est le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Côte d’Ivoire.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires