Louis Schweitzer « Nous sommes contre les quotas »

Publié le 25 juin 2006 Lecture : 4 minutes.

Ancien haut fonctionnaire – il a dirigé le cabinet du socialiste Laurent Fabius à Matignon – et grand patron (à la tête du constructeur automobile Renault), Louis Schweitzer préside la Halde depuis le 8 mars 2005.

Jeune Afrique : Les Français sont-ils racistes ?
Louis Schweitzer : Dans un sondage récent, un tiers des Français se déclarait plus ou moins raciste. Mais je ne crois pas que cela reflète la réalité. Ce résultat témoigne plutôt de l’inquiétude et de l’ignorance d’une partie de la population. Ce qui m’a frappé, dans ce même sondage, c’est qu’une majorité beaucoup plus forte qu’auparavant disait qu’il faut punir le racisme.
Certaines associations de lutte contre le racisme ont critiqué la création de la Halde et doutent de son efficacité
Les associations, avec lesquelles je veux développer continûment notre collaboration, ont apporté des choses essentielles. Le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap) nous a confié le dossier sur les étrangers dans les chambres des métiers ; et SOS Racisme est à l’origine du testing, une excellente technique de lutte, que nous utilisons.
Qu’est-ce que la Halde offre de plus par rapport aux associations ?
D’abord des moyens. Chaque jour, les soixante-six experts réunis au sein de la Halde s’engagent. Deuxième point, nous apportons le statut d’une Haute Autorité, c’est-à-dire des capacités juridiques et une autorité morale. Dans beaucoup de dossiers, le simple fait que nous soyons saisis fait que la discrimination s’arrête. À ce titre, l’en-tête « République française », avec le profil de Marianne et la devise « Liberté, égalité, fraternité » jouent un rôle Au fond, c’est la République qui poursuit les discriminations. Enfin, notre statut d’autorité implique une certaine rigueur, différente de la dimension militante. Nous essayons de trouver le juste équilibre entre le mot autorité et le mot lutte.
Pourquoi la Halde privilégie-t-elle la médiation à la sanction ?
Ma priorité, depuis le début, est d’aider concrètement les gens qui nous saisissent. Cela peut passer par la sanction, par la médiation, ou par ce nouveau pouvoir que nous avons de « transaction sous menace de sanction », qui comporte à la fois une amende et une indemnisation de la victime.
Est-il logique de confier à une unique autorité le soin de lutter contre des phénomènes aussi différents que le racisme et, par exemple, la discrimination liée à l’orientation sexuelle ?
Toutes les discriminations partagent un fonds commun. Les techniques de lutte sont d’ailleurs utilisées dans différents domaines. Et puis, il y a aussi beaucoup de « polydiscriminations »: une femme qui appartient à une minorité visible et qui a un certain âge est discriminée trois fois Aujourd’hui, les Britanniques, qui avaient des organismes spécialisés, les fusionnent en une seule autorité, confirmant que l’approche française est la bonne.
La Halde peut-elle être favorable à la discrimination positive ?
Exception faite des handicapés, la Halde est contre les quotas, qui sont d’ailleurs interdits par la Constitution. Elle est opposée au fait que l’on recrute ou que l’on écarte une candidature pour des raisons « raciales/ethniques ». Ce que nous défendons, c’est l’égalité réelle des chances tout au long de la vie. Cela implique des actions positives en matière de formation, d’encadrement, d’aides financières pour les moins favorisés.
Le gouvernement vous a récemment chargé de promouvoir la diversité sociale dans le logement, pour combattre la formation de ghettos. Comment allez-vous procéder ?
Nous avons lancé une conférence de consensus. C’est une méthode que l’on utilise dans le domaine médical, par exemple pour lutter contre le sida. On recueille l’avis de médecins, de sociologues, de personnes qui appartiennent aux communautés concernées pour définir les bonnes pratiques de référence. On écoute toutes les parties en cause dans un système de décision transparent. Ce processus devrait durer douze mois.
Vous siégez personnellement dans plusieurs conseils d’administration de grandes entreprises. Est-ce, pour la Halde, un handicap ou un atout ?
La loi a tout prévu : si, dans une affaire de discrimination, une entreprise avec laquelle j’ai ou j’ai eu un lien, est mise en cause, je ne prends pas part aux délibérations. Et puis, j’ai personnellement assez de convictions pour ne pas avoir envie de freiner ses travaux Cela dit, je crois que ma position constitue un avantage. Il est bon que la Halde ne soit pas seulement une autorité de témoignage, mais aussi une autorité qui a des ambitions de résultats concrets, comme peuvent en avoir les entreprises. Le fait que je connaisse le monde de l’entreprise, et que le premier champ de discrimination soit l’emploi, me donne probablement des moyens et une expertise supplémentaires pour agir. Quand j’écris à 146 patrons pour promouvoir l’égalité, ma connaissance de l’entreprise me donne plus de force et de crédibilité. Pour l’immense majorité des entrepreneurs, le problème n’est pas de lutter contre le racisme ; il est de faire de la lutte contre les discriminations et pour l’égalité une priorité concrète.
Votre grand-oncle, le docteur Albert Schweitzer, s’est beaucoup investi en Afrique. Quelle est votre relation personnelle au continent ?
J’ai passé quinze mois en Algérie comme coopérant technique, en 1966-1967. Cette expérience m’a donné un lien particulier avec ce pays. En revanche, je ne connais l’Afrique subsaharienne que de façon livresque. Mais ce qui me frappe et me paraît poser problème, c’est qu’on a une vue indifférenciée de cette zone du monde.
Et comme président de Renault ?
Le problème de l’Afrique en la matière, c’est qu’elle est hérissée de barrières et que chacun de ses marchés est tout petit, ce qui pose un problème de diffusion.

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