« Il n’y a plus ni pré carré ni relation exclusive »

Mahmoud Ali Youssouf, ministre des Affaires étrangères, compte sur la position stratégique de son pays pour lui faire jouer un rôle diplomatique clé.

Publié le 25 juin 2006 Lecture : 6 minutes.

Mahmoud Ali Youssouf, 41 ans, est le chef de la diplomatie djiboutienne. Ce polyglotte, qui a effectué ses études entre Lyon, Liverpool (Angleterre) et Québec (Canada), est devenu, en 2001, ministre délégué en charge de la Coopération internationale. Il est ministre des Affaires étrangères depuis mai 2005. Son pays organisera, en novembre 2006, le 11e sommet du Comesa, le Marché commun des pays de l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe, organisation regroupant une vingtaine de nations et disposant d’un potentiel d’environ 400 millions de consommateurs. Îlot de stabilité au cur d’une région particulièrement tourmentée, Djibouti est aussi membre de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad) et s’est beaucoup impliqué dans le règlement de la crise somalienne. La reprise des combats entre milices rivales à Mogadiscio menace de réduire à néant tous ses efforts.

Jeune Afrique : La Corne de l’Afrique vit des moments critiques depuis la reprise des combats à Mogadiscio. Que peuvent faire Djibouti et l’Igad pour mettre fin à cette violence ?
Mahmoud Ali Youssouf : La situation s’est sérieusement dégradée depuis la reprise des combats entre les chefs de guerre et la milice des tribunaux islamiques. Ces derniers semblent avoir pris le dessus. L’Igad avait parrainé la conférence de réconciliation nationale somalienne, qui avait débouché, après deux ans de travaux, sur la mise en place d’institutions de transition : un Parlement, un gouvernement, un président. Ces efforts risquent d’être ruinés par ces chefs de guerre irresponsables qui s’entre-déchirent. Djibouti a récemment envoyé de l’aide humanitaire et des médicaments. Mais on ne peut pas continuer à observer de manière attentiste, et nous recherchons une issue à la crise avec nos partenaires. Le président en exercice de l’Igad, le Kényan Mwai Kibaki, a pris des contacts avec ses homologues des pays membres. Nous allons essayer de faire en sorte que la violence de Mogadiscio ne fasse pas tache d’huile et soit contenue.

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Croyez-vous à une connexion possible, dès maintenant ou dans un futur proche, entre les milices des tribunaux islamiques et al-Qaïda ?
La Somalie est en proie au chaos et à l’anarchie depuis 1991, date à laquelle l’État central a disparu. Dès lors, on peut tout imaginer. Mais nous n’avons pas de preuves concrètes d’une infiltration de membres d’al-Qaïda au niveau de Mogadiscio, dans les tribunaux islamiques.

Les Américains ont reconnu avoir soutenu les factions hostiles aux tribunaux islamiques. Ils possèdent une base militaire à Djibouti, et on peut se demander si cette aide logistique a été fournie depuis Djibouti. Qu’en est-il exactement ?
Les Américains ont-ils appuyé une faction contre une autre ? C’est ce qui s’écrit dans les journaux, et je n’ai pas de commentaires à faire sur ces informations. Mais je peux vous assurer que Djibouti n’a jamais pris part à une quelconque transaction entre Washington et des miliciens. Nous n’avons été ni consultés, ni associés, ni informés de ce genre d’activités. La coalition antiterroriste opère à partir de Djibouti pour contrôler les mouvements suspects et prévenir les infiltrations de militants d’al-Qaïda. Nous ne souhaitons pas qu’il y ait ingérence dans les affaires somaliennes, et nous pensons que ce n’est pas la meilleure des manières de faire avancer la cause de la réconciliation nationale en Somalie. La communauté internationale doit continuer à appuyer les institutions fédérales de transition pour restaurer la paix et la sécurité dans toutes les régions de la Somalie.

Le Somaliland – l’ancienne Somalie britannique – s’est détaché de la Somalie en 1991. Il forme aujourd’hui une nation, qui n’est reconnue par personne. Le Somaliland va solliciter, à Banjul, au cours du prochain sommet de l’Union africaine, son admission au sein de l’organisation. Allez-vous appuyer cette demande ?
Par principe, nous sommes opposés à la balkanisation de la Somalie. Le Somaliland est stable, l’administration y fonctionne à peu près normalement, la sécurité existe, et les gens vivent dans la sérénité et le calme. Tout cela est vrai. Cela constitue-t-il une raison suffisante pour justifier une sécession, une partition ? Le choix doit revenir aux Somaliens. C’est d’abord à eux de se prononcer. En tant que pays membres de l’Union africaine, nous avons l’obligation, imposée d’ailleurs par la charte d’Addis-Abeba, de ne pas remettre en cause les frontières héritées de la colonisation. Une sécession du Somaliland apportera-t-elle quelque chose à la réconciliation nationale somalienne ? Est-ce que cela fera réfléchir les Somaliens du Sud ? Est-ce que cela va les aider à retrouver le chemin de la raison ? Le sujet est délicat. Il doit être discuté au sommet de l’Union. En attendant, il nous faut être extrêmement vigilants, éviter d’embraser encore davantage la Somalie par des décisions unilatérales irréfléchies. Nous croyons vraiment qu’il est trop tôt pour s’avancer. Les Somaliens doivent d’abord se prononcer et être en mesure de le faire

Le président Ismaïl Omar Guelleh a réservé à Washington sa première sortie officielle, au lendemain de sa réélection, en mai 2005. Et fait une entorse à une loi non écrite qui voulait que le chef de l’État djiboutien aille d’abord à Paris avant de visiter d’autres capitales occidentales. Les États-Unis sont devenus les premiers alliés de Djibouti ?
Nous vivons dans un monde globalisé où il n’y a plus de « prés carrés », de « relations restreintes ». L’économie mondialisée impose aux pays, petits ou grands, de diversifier leurs relations et leurs alliances. Ils doivent rechercher en permanence de nouveaux marchés. Le temps des relations figées et exclusives est révolu. Mais la France reste un partenaire privilégié de Djibouti. Nous entretenons d’excellentes relations avec Paris. D’ailleurs, le président Guelleh s’est ensuite rendu à Paris, où il a eu un entretien prolongé avec le président Jacques Chirac. Nous avons le souci de diversifier nos relations, afin d’en rendre palpables les retombées économiques. Nos amis français le comprennent très bien. Et la présence française à Djibouti n’a rien à envier à la présence américaine, elle est bien plus profonde, plus dense et mieux installée. Il n’y a aucun souci à se faire, ni du côté français ni du côté djiboutien

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Vos relations avec Washington sont devenues excellentes. Après les attentats du 11 septembre 2001, les Américains ont installé une base à Djibouti. Avez-vous une idée de la durée de cette présence militaire ?
Nous avons signé il y a quelques semaines une prolongation de l’accord de location du camp Lemonnier aux forces américaines. Le bail court désormais jusqu’en 2010. Cette présence ne se fait pas au détriment des intérêts de la France, mais, au contraire, en harmonie avec eux et avec ceux des autres membres de la coalition antiterroriste. Elle ne peut que contribuer à l’instauration d’une plus grande sécurité dans la région. Les Américains possèdent deux sites d’entraînement, un dans le Nord, du côté de Godoriah, dans la région d’Obock, et un autre dans le Sud. Et le camp Lemonnier va être étendu. Il aura plus d’espace et pourra accueillir d’autres infrastructures légères, des hangars, et peut-être une unité de dessalement d’eau.

Que doit-on attendre du sommet du Comesa qui sera organisé à Djibouti en novembre ?
Ce sommet servira de vitrine à Djibouti, qui a pour ambition, notamment grâce au nouveau port de Doraleh, de jouer le rôle de hub économique régional, et qui veut renforcer ses liens avec son environnement naturel. Un forum économique sera organisé en marge du 11e sommet du Comesa pour permettre aux milieux d’affaires d’Afrique, d’Asie et du Golfe de tisser des liens commerciaux avec les pays voisins. Deux thèmes domineront le sommet : l’union douanière entre les pays membres et le Nepad. Certes, la réponse des pays du G8 et des bailleurs de fonds multilatéraux à l’initiative du Nepad n’a pas été à la hauteur des attentes des Africains. Mais ce partenariat est le seul cadre qui permette aux pays africains de trouver des solutions africaines aux problèmes de développement du continent. Il n’y a pas d’alternative. L’UA s’est approprié cette initiative des chefs d’État. Elle a mis en place des communautés économiques régionales. Les projets d’intégration existent. Il ne faut surtout pas baisser les bras.

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