Les Perses, les Indiens et le « soft power »
Publié le 25 mars 2007 Lecture : 3 minutes.
La Revue. Pour l’intelligence du monde poursuit son chemin. Avec son septième numéro, elle entame sa deuxième année d’existence. À mi-chemin entre Foreign Affairs et Esprit, cette publication bimestrielle est un objet atypique dans le paysage de la presse francophone, cette dernière étant tournée essentiellement vers les affaires nationales. La Revue, elle, propose une réflexion sur les grands enjeux du monde contemporain : l’Europe, l’Orient, l’Afrique, les puissances émergentes, l’immigration, l’énergie, l’eau… Rendre intelligible la mondialisation, tel est le sens du sous-titre programmatique du périodique.
De l’intelligence du monde, il est en effet beaucoup question dans cette livraison. Et ce, dès le premier article consacré à « Ali Khamenei : le vrai maître de l’Iran ». Alors que le monde entier est obnubilé par la rhétorique du président Mahmoud Ahmadinejad, il est utile de garder à l’esprit qu’il ne gouverne pas, nous rappelle Samy Ghorbal dans son portrait-biographie de Khamenei, l’un des dirigeants les plus méconnus de la planète. Ghorbal écrit : « Pendant qu’Ahmadinejad amuse la galerie, […] le grand ayatollah qui a succédé, en juin 1989, à l’imam Khomeiny comme Guide suprême de la République islamique, arbitre, tranche et fixe la conduite à tenir, aussi bien en politique intérieure qu’en politique étrangère. » Cet article, truffé de précisions sur le fonctionnement du système politique iranien et des rapports de force entre conservateurs et modernistes, permet de mettre en perspective les propos d’Ahmadinejad, qui ont conduit le monde au bord d’une nouvelle guerre. Selon l’auteur, les rodomontades du président iranien contre Israël relèvent plutôt du dysfonctionnement du régime que d’une véritable volonté des mollahs de défier l’Occident.
Après les Perses, les Indiens. Le dossier consacré à l’Inde, composé de pas moins de dix articles, constitue le centre de gravité de ce numéro 7. L’importance grandissante du pays de Gandhi est illustrée dès la couverture où s’affiche un éléphant en équilibre précaire sur un globe qui est sans doute trop petit pour ses grandes ambitions. Diplomates, politologues, journalistes ont été sollicités pour apporter des éclairages sur différents aspects de l’Inde contemporaine : sa démocratie, sa démographie, son décollage économique qui ne cherche guère à faire trembler le monde…
C’est l’écrivain et diplomate indien Shashi Tharoor qui développe le concept du soft power ou « force douce » (emprunté à un professeur de Harvard) sur lequel s’appuie l’Inde pour s’imposer sur la scène internationale. Pour Tharoor, la vraie force de ce pays réside dans son cinéma, sa littérature et sa culture plurimillénaire dont la diffusion à travers le monde a autant contribué à sa visibilité que son économie ou ses essais nucléaires. Les principes de la démocratie et du multiculturalisme que défend l’Inde relèvent, eux aussi, selon l’auteur, de ce soft power et contribue à son rayonnement.
Or ce dernier, comme l’expliquent Jyotsna Saksena et Renaud de Rochebrune, est aussi le résultat d’une pratique, pas toujours subtile, de Realpolitik… Pour en savoir plus sur ce paradoxe indien, il faut se plonger dans ce dossier de La Revue, très complet, dont la parution coïncide avec la participation de l’Inde en tant qu’invitée d’honneur au Salon du livre de Paris.
Enfin, si ces grands ensembles que sont l’Inde et l’Iran vous inquiètent, vous trouverez peut-être votre miel dans les rubriques courtes consacrées à la littérature (lire absolument le brillant article de Nicolas Michel sur John Le Carré) ou aux incongruités du langage contemporain, sujet que Dominique Mataillet explore dans un drolatique « On marche sur des e ». Moins réussi, l’exercice périlleux de la rencontre d’outre-tombe auquel se prête vaillamment Jean-Michel Djian pour ressusciter Senghor. Le principe est intéressant, mais faire parler les morts n’a jamais été facile.
