Cap sur les pays émergents

Rachats, baisse des prix, alliances À la recherche de nouveaux relais de croissance, les principaux opérateurs se tournent vers le Sud.

Publié le 25 février 2007 Lecture : 5 minutes.

Le 12e congrès mondial de la téléphonie mobile, le 3GSM World Congress, s’est achevé le 15 février à Barcelone, en Espagne, comme il avait débuté quatre jours auparavant : par un festival de bons chiffres. À la clôture, tout compte fait, l’on a célébré la hausse de 10 % de la fréquentation, à 55 000 visiteurs, et l’explosion du nombre d’exposants, passé de 962 il y a un an à 1 300 cette année (+ 35 %). Des statistiques encore plus glorieuses avaient marqué l’ouverture du salon, le plaçant sous les meilleurs auspices : en 2006, le nombre de téléphones mobiles neufs vendus dans le monde a franchi la barre symbolique du milliard, à 1,018 milliard, en progression de 24,6 % en un an.
Autant dire qu’à Barcelone les professionnels ont tous cherché à surfer sur cette vague porteuse et à tirer le meilleur parti d’une industrie aussi dynamique. De stand en stand, chacun y allait de sa vision de l’avenir, que tous imaginent radieux, se voyant à la tête de 5 milliards d’utilisateurs de téléphones mobiles en 2015. Pour les satisfaire, cependant, les technologies toujours plus sophistiquées et les services toujours plus onéreux ne seront plus de mise, c’est l’un des grands enseignements de ce début d’année.
L’importance grandissante des marchés émergents dans la croissance globale du secteur est la première raison de cette mutation. En 2010, selon le Gartner Group, un cabinet d’études de marché qui fait autorité, près des deux tiers des utilisateurs de téléphone mobile, soit 2,6 milliards de personnes sur un total de 3,6 milliards, se trouveront en Asie, en Amérique latine, au Moyen-Orient ou en Afrique. Dès aujourd’hui, un nouveau client sur deux se conquiert dans l’une de ces régions. Le britannique Vodafone, premier opérateur européen, l’a compris depuis longtemps, qui a investi en Afrique – il est actionnaire majoritaire du sud-africain Vodacom -, avant de se tourner vers l’Est (République tchèque, Roumanie, Turquie) pour échapper à la saturation des marchés d’Europe. Grâce à quoi, fin décembre 2006, Vodafone affichait une croissance de 6,1 % de son activité d’ensemble, mais de 0,9 % seulement en Europe. Poursuivant cette stratégie, le groupe britannique a annoncé, le 13 février à Barcelone, son entrée en Inde par le rachat de 67 % du quatrième opérateur mobile du pays, Hutchison Essar, pour 11,1 milliards de dollars. Vodafone, qui vient de franchir la barre de 200 millions de clients dans le monde, estime son propre potentiel à 500 millions de clients d’ici à cinq ans sur le seul marché indien, qui connaît actuellement la plus forte croissance au monde.
L’annonce a confirmé la seconde tendance lourde observée dans le secteur, qui se traduit par un changement en profondeur de l’équation économique qui prévalait jusqu’alors. C’est que les consommateurs des marchés émergents n’ont, par définition, pas les mêmes moyens que les Américains ou les Européens. Nokia, le premier constructeur mondial de téléphones mobiles, le mesure au quotidien à travers la baisse continue du prix moyen de ses modèles (voir encadré). Pas question, donc, de vouloir imposer à ces clients peu fortunés les tarifs pratiqués par les opérateurs occidentaux pour les nouveaux services multimédia. D’autant que lesdits services ne décollent pas dans les pays riches, à commencer par les MMS, ces SMS auxquels on ajoute des photos. Les Français, par exemple, en envoient 200 000 par mois en moyenne, à comparer à 200 millions de SMS dans la seule nuit du 31 décembre dernier. En cause, le prix, qui peut atteindre 2 euros pour l’envoi d’une « carte postale », contre 0,10 euro pour un SMS. Idem pour le téléchargement d’un morceau de musique : il coûte 2 à 3 euros suivant l’opérateur, au lieu de 0,99 euro sur un ordinateur dans le cas d’un téléchargement légal. L’Internet fixe présente un autre avantage : des géants comme Yahoo!, Google et Microsoft y travaillent en concurrence, contribuant à une baisse généralisée des tarifs, alors que chaque opérateur de téléphonie mobile a tenté jusqu’à présent de ne proposer à ses clients que ses propres services, par exemple son propre moteur de recherche.
Mais cette stratégie, dite des systèmes propriétaires, atteint ses limites : pour la première fois de leur histoire, le chiffre d’affaires des opérateurs européens s’essouffle. Pour les trois français, la hausse atteint à peine 1 %. Signe du changement, le congrès de Barcelone a été marqué par un foisonnement inédit de partenariats entre les opérateurs de mobiles et les grands de l’Internet. Ainsi Vodafone, encore lui, a signé avec les sites eBay (ventes aux enchères), YouTube (partage de vidéos) ou encore les messageries instantanées de Microsoft et de Yahoo. Son réseau français SFR devrait offrir les mêmes services dans le courant de l’année. Il semble bien que les opérateurs de téléphonie mobile finiront par proposer, comme leurs confrères du fixe, un tarif forfaitaire d’accès à Internet au lieu de la facturation actuelle, proportionnelle à la minute de connexion ou au trafic de données. Comme il faudra bien qu’ils trouvent une compensation financière quelque part, tout porte à croire que c’est sur leurs fournisseurs qu’ils feront pression.
Ces derniers l’ont bien compris et certains ont déjà pris le pli des économies d’échelle. À Barcelone, quatre d’entre eux ont traduit dans les faits des rapprochements annoncés l’année dernière. C’est notamment le cas de la société Nokia Siemens Networks, une coentreprise (joint-venture à 50/50) en cours de constitution. En juin 2006, le finlandais Nokia et l’allemand Siemens ont en effet décidé de fusionner leurs activités dans les équipements de réseaux de télécoms donnant naissance à un géant de 60 000 personnes et 16 milliards d’euros de chiffre d’affaires, une taille lui permettant de faire face aux géants Alcatel Lucent (alliance France/États-Unis effective depuis décembre 2006) et Ericsson (Suède). Les activités de conception et production d’appareils téléphoniques mobiles ne sont pas concernées par ces alliances. Nokia les poursuit en autonome et avec bonheur (numéro un mondial avec un tiers du marché). Quant à Siemens, il les avait bradées il y a un an à un groupe taiwanais nommé BenQ, qui, depuis, a fait faillite (voir J.A. n° 2400).
Nokia et Siemens ont déployé de grands moyens pour apparaître en force à Barcelone, invitant de nombreux journalistes et clients. La tâche de présenter leur regroupement sous son meilleur jour leur a été d’autant plus facilitée que, sur le stand d’en face, deux autres jeunes mariés, Alcatel et Lucent, devaient surtout faire face aux questions sur un nouveau programme de suppression de postes. Motivant sa décision par la nécessité de réaliser 1,7 milliard d’euros d’économies d’ici à 2009 pour demeurer compétitif, le groupe a revu à la hausse de près de 40 % le nombre de suppressions de postes, qui portait sur 9 000 emplois dans le monde lors de l’annonce de la fusion, en avril 2006. Sont aujourd’hui concernés 12 500 emplois, soit près de 16 % de l’effectif total. Quand aura sonné l’heure de sa fusion effective, probablement fin mars, Nokia Siemens Networks devra lui aussi faire des économies. À Barcelone, le numéro deux du futur groupe, Christoph Caselitz, s’est déclaré « confiant sur l’objectif de réaliser 1,5 milliard d’euros d’économies par an d’ici à 2010, qui déboucheront sur la suppression de 10 % à 15 % des quelque 60 000 postes du nouvel ensemble ». Le prix à payer pour se hisser au troisième rang mondial (voir infographie) et se renforcer dans les marchés émergents où, c’est maintenant confirmé, se trouve l’avenir de la téléphonie mobile.

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