C’est la Bourse qui décide !
Les résultats du premier sont meilleurs que ceux du second. Mais les marchés financiers aiment Carlos Ghosn et ignorent Jean-Martin Folz.
En cette veille de Nouvel An, Jean-Martin Folz prépare ses bagages. Dans un peu plus d’un mois, il quittera la présidence de Peugeot-Citroën. Officiellement, Folz ne démissionne pas. Il fait valoir ses droits à la retraite. Mais ses explications laconiques ont instillé le doute, car rien ne laissait présager ce départ.
Chronologie des faits. Début juillet, Folz annonce qu’il présentera, lors du Mondial de Paris, un plan destiné à contrer la dégradation de la marge opérationnelle de Peugeot-Citroën : 5,4 % en 2002, 2 % en 2006. Dans le même temps, la part de marché du groupe en Europe a glissé de 15 % à 13,5 %. Rien de bien grave pour un groupe dont la production annuelle a augmenté de 60 % en dix années d’ère Folz. Mais le patron de PSA doit réagir. L’été se passe, paisiblement. À peine rentré de vacances, Folz jette, le 8 septembre, son pavé dans le lac : il s’en ira à 60 ans, soit en février 2007 ! Mis devant le fait accompli, Thierry Peugeot, président du conseil de surveillance, ne cache pas son embarras : « Nous n’avions pas l’ombre d’une discordance. Il s’agit d’un choix de vie. » Le service du personnel de PSA connaît la date de naissance de Folz. La famille Peugeot pensait qu’il prolongerait son bail, puisqu’en France les PDG jouent volontiers les prolongations. La preuve, elle n’a pas de remplaçant sous la main. Arrive le Mondial. Comme convenu, Folz présente son plan : suppression de 10 000 emplois, gel du développement de l’usine slovaque de Trnava. Il l’accompagne d’un bref commentaire désabusé : « Je ne resterai pas dans l’automobile, ni ne siégerai au conseil de surveillance de Peugeot. PSA a besoin d’un autre il, peut-être d’une autre stratégie. Les marchés financiers n’attendent plus rien de moi »
Ce constat, lucide, souligne son seul échec. Depuis le début de l’année, la Bourse a sanctionné la méforme de Peugeot : – 10 %. À l’inverse, l’action Renault est au zénith : + 40 %. Un écart qui ne reflète absolument pas la santé des deux groupes. Car Renault traverse un trou d’air : ses ventes ont reculé de 10 % en Europe. Les perspectives immédiates ne sont pas bonnes : gamme vieillissante, aucun nouveau modèle prévu avant les Twingo II et Laguna III, qui arriveront en septembre 2007. Et General Motors vient de refuser l’alliance proposée par Renault. Mais la Bourse adore Carlos Ghosn, son PDG Ce magicien du verbe a compris, mieux que Folz, le ressort qui tend la logique des milieux financiers : la foi en un homme. Chez Renault, il dispose d’attachés de communication voués à sa personne. Chacune de ses interventions est théâtralisée : masque grave d’un Churchill ou d’un Mendès France, objectifs chiffrés, promesse d’un avenir radieux pour faire passer la pilule de lendemains difficiles. Dès son arrivée à la tête de Renault, en 2005, il a mis le doigt sur le défaut de l’entreprise : des lacunes dans l’offre. Sous la direction de Louis Schweitzer, Renault a changé de dimension : prise de contrôle de Nissan, rachat de Dacia pour servir de prête-nom au projet Logan, de Samsung. Ces décisions, parfaitement fondées, ont saigné le management de Renault : des hommes de poids ont quitté la France pour le Japon, la Roumanie, la Corée. Du coup, le renouvellement (Twingo) et l’élargissement (4×4, Clio CC) de la gamme ont pris du retard. Alors, Ghosn a appliqué cette maxime : « Quand les vents sont contraires, feignons de les avoir provoqués »
Depuis plusieurs années, Renault dopait ses chiffres : trop de remises, de voitures « vendues » à des loueurs puis écoulées quelques mois plus tard sur le marché de l’occasion. Notamment en Algérie, avant que ce pays ne ferme ses portes à l’importation des véhicules d’occasion récents. Ghosn a mis fin à ces coûteuses pratiques : « Attention au mirage des ventes, priorité aux bénéfices. » Au passage, il enrobait de vertu une baisse des résultats commerciaux qu’il savait inéluctable. Car comment, dans le recul des ventes de Renault, faire la part entre désaffection du public et retour à l’orthodoxie commerciale ? La Bourse a été sensible à ce message de fermeté, à la précision des objectifs : 6 % de marge en 2009, 26 nouveaux modèles d’ici là. Même si le Crédit suisse a abaissé, en octobre, sa recommandation, entraînant un léger repli, l’action Renault continue de bénéficier d’une valorisation généreuse par rapport aux performances du constructeur : + 32 % fin décembre.
Des voix discordantes commencent pourtant à troubler le concert de louanges qui salue chaque apparition de Ghosn. Car les ventes de Nissan sont aussi en baisse : – 16 % en Europe, – 17 % en Asie, – 6 % aux États-Unis. Là, Ghosn ne peut rejeter la faute sur Schweitzer, puisqu’il est resté six ans aux commandes du constructeur japonais avant de prendre la tête de l’alliance Renault-Nissan. Il a bâti sa réputation en redressant les finances de Nissan. Depuis les déboires d’Opel au début de la décennie 1990, chacun sait qu’un constructeur qui rétablit ses comptes en rognant sur l’investissement et les marges de ses sous-traitants compromet son avenir. C’est ce doute qui pèse aujourd’hui sur la gestion Ghosn. Mais pour l’instant, adossé à la confiance de la Bourse, le patron de Renault-Nissan tient bon la barre au milieu des écueils.
Alors, comment ne pas imaginer que la famille Peugeot a regardé avec envie le cours de l’action Renault, et conseillé à Folz de s’inspirer de Ghosn ? En communiquant davantage, car aux yeux des milieux boursiers, l’image d’une entreprise se confond avec celle de son patron ; en songeant à accroître le périmètre de PSA par la prise de contrôle d’un autre constructeur, comme Renault l’a fait sous l’ère Schweitzer. Mais Folz est un dirigeant de l’ancienne école. Il aime la discrétion, la politique des petits pas. Pour réduire les coûts d’échelle, plutôt que de se lancer dans des rachats, il a préféré nouer des coopérations ponctuelles qui préservent l’indépendance de PSA : avec Fiat pour les véhicules utilitaires, avec Ford et BMW pour la fourniture de moteurs Diesel, avec Toyota pour la création d’une mini-urbaine. Sans doute a-t-il senti que la famille Peugeot attendait davantage. Mais, à l’approche de la soixantaine, il n’a pas voulu modifier les principes qui ont guidé sa carrière, ni apprendre à plaire à la Bourse. Alors, il a cédé la place, sans se départir de sa loyauté à l’égard de Peugeot. Folz n’a pas oublié l’accueil glacial que lui avait réservé Jacques Calvet, son prédécesseur, lors de la passation de pouvoir. Ni que ce dernier avait quitté PSA dans la solitude d’un roi déchu. Il a ouvert ses dossiers à son successeur, Christian Streiff, désigné depuis mi-novembre. Et sortira par la grande porte.
Le 8 février prochain, il ne pourra sans doute pas s’empêcher de jeter un il amer à la cotation boursière de Peugeot. Depuis l’annonce de son départ et la nomination de Streiff, le titre Peugeot a retrouvé l’équilibre en regagnant dix points. Signe que la Bourse accorde à l’inconnu Streiff plus de crédit qu’elle n’en accordait à Folz. Car son caractère fort plaît aux milieux financiers. Jeune, Streiff avait refusé, par antimilitarisme, de se présenter à Polytechnique. Ensuite, il s’est brouillé avec Jean-Louis Beffa dont il était le dauphin désigné à la tête de Saint-Gobain. Il est resté cent jours seulement aux commandes d’Airbus, parce qu’il estimait n’avoir pas les mains libres pour mener la réorganisation qu’il avait préconisée. La famille Peugeot a salué sa dimension « industrielle et internationale ». Autrement dit, des restructurations ne sont pas à exclure dans une entreprise dont les usines situées en Europe de l’Ouest sont loin de tourner à leur capacité maximale. Non plus qu’une alliance avec un autre constructeur. Dans les deux cas, la Bourse appréciera, du moins dans un premier temps.
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