Rencontres du troisième type

Au Maghreb comme ailleurs, jeunes et moins jeunes sont de plus en plus accros au flirt virtuel sur Internet. Et plus si affinités.

Publié le 24 septembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Ils comptent parmi les plus grands succès d’Internet, rassemblent des millions de membres et seraient à l’origine de milliers de mariages : véritable phénomène de société, les sites de rencontre se multiplient sur le Web. Dix-sept millions de personnes auraient, par exemple, déjà visité les pages de Meetic, le numéro un du secteur en Europe. Pour vivre une brève aventure ou trouver l’âme sur.
À leur tour, les Maghrébins sont victimes de la contagion. Parmi les sites les plus visités : Maghreb-in et Mektoube (« destin »), qui ciblent plus spécialement les Français d’origine maghrébine, les marocains Lyqaa (« rencontre », en arabe) et Azzawaj (« mariage »), ainsi qu’Algérie-Zawaj, destiné aux musulmans qui souhaitent nouer des liens au sein de leur communauté. Un site 100 % tunisien est en cours de création.
Le principe est toujours le même. La consultation des annonces et des photos est libre, mais l’inscription est obligatoire pour entrer en contact avec l’heureux élu présumé. Sur Maghreb-in.com (8 millions de pages consultées, plus de 300 000 visiteurs uniques par mois), l’inscription est gratuite pour les filles. Son coût est symbolique (1,80 euro par mois) pour les garçons. Sur presque tous les autres sites maghrébins – à la différence des sites européens ou américains -, l’inscription est gratuite pour tous. Pour devenir membre du « club », il suffit de remplir une fiche de présentation détaillée accompagnée d’une photo, de se choisir un pseudonyme et de préciser ses intentions : amour, amitié ou mariage. Vous voilà prêt pour une rencontre du troisième type.
J’ai entrepris de tester plusieurs sites. Première information : les réponses à une annonce arrivent très vite. En moins de vingt-quatre heures, la mienne a été consultée à plus de 250 reprises. Elle a suscité 90 chats (interface de dialogue en temps réel) et 15 courriels. Au départ, mes interlocuteurs n’avaient apparemment qu’un seul objectif : mieux me connaître. Las, au fil de la discussion, les questions ont vite dérapé. Presque toutes avaient trait à l’importante question de mes mensurations : taille, poids et autres indications chiffrées.
Abandonnant le rôle de la poupée Barbie, j’ai alors changé de stratégie et insisté sur l’importance des affinités intellectuelles (littérature, cinéma, voyages, etc.). Cruelle déception ! Seuls 17 garçons ont répondu à cette deuxième annonce. J’ai alors prétendu, contre toute évidence, appartenir à la tranche d’âge des 35-45 ans. Et là, j’ai frôlé la Bérézina. Sept téméraires, en tout et pour tout, ont souhaité poursuivre la discussion – tout en restant remarquablement vagues sur leur situation de famille. Bref, pour qui en douterait encore, le culte de l’apparence et du « jeunisme » font aussi des ravages sur la Toile.
Sur Maghreb-in et la majorité des sites, la classe d’âge la mieux représentée est celle des 25-35 ans. Et la gent masculine y est largement majoritaire. Les plus nombreux sont des étudiants en fin de cursus universitaire et des nouveaux actifs dans les secteurs de la finance et des télécoms. Tous recherchent activement un ou une partenaire. Les menteurs patentés, prompts à profiter de la détresse affective de certains internautes, ne sont pas rares. Ce sont les « cyberséducteurs ». Bobards et affabulations concernent essentiellement l’âge, les diplômes et la situation professionnelle. Tout ce beau monde réuni dans les « salons virtuels » aménagés par les sites de rencontre affirme rechercher avant tout une compagne ou un compagnon pour la vie. Aucun n’évoque explicitement l’éventualité d’une histoire sans lendemain.
C’est le cas de cette Tunisienne de 19 ans qui, sur mektoube.fr, déclare sans ambages rechercher « un beau garçon pour me marier ». Exit donc les rencontres chez des parents ou des amis, dans la rue ou les lieux publics. Pour les accros, les avantages de ces rencontres virtuelles sont nombreux. Internet abolit les distances, libère les inhibitions et permet d’échapper – au moins jusqu’au premier rendez-vous fatidique – à l’impitoyable regard de l’autre.
Mais pour nombre de jeunes Maghrébins, Internet est aussi un palliatif à l’ennui. « Y a rien à faire ici. J’en ai marre des parties de football à vingt-cinq, des jeux de cartes et des interminables papotages entre mecs, au café du coin, confie un jeune de Bab el-Oued, un quartier populaire d’Alger. D’ailleurs, sans les sites de rencontre, je ne saurais même pas à quoi ressemble une fille. »
Tout cela explique en partie l’engouement des jeunes et des moins jeunes pour le flirt on line. Mais l’augmentation spectaculaire du nombre des célibataires (voir encadré) y contribue également, de même, bien sûr, que la généralisation de l’usage d’Internet. À titre indicatif, le Maroc comptait en 2005 plus de 4 millions d’internautes. Pour les jeunes, les cybercafés sont désormais incontournables. « Les trois quarts de mes clients – une cinquantaine par jour – viennent ici avant tout pour chatter et faire des rencontres », explique le responsable d’un établissement de Casablanca. Quant aux filles, « la plupart cherchent un mari à l’étranger et un passeport pour quitter le pays ».
Si les sites de rencontres pullulent sur le Web, c’est aussi parce que, loin de tout romantisme, il s’agit d’un business très, très lucratif. Meetic (aujourd’hui présent dans treize pays et diffusé dans neuf langues) a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 43 millions d’euros, dont 97 % provenant des abonnements Internet. En moins de cinq ans, le site est devenu l’une des sociétés de services les plus rentables sur le Net. Quant aux sites spécifiquement destinés aux Maghrébins, ils ne sont pas à plaindre. Les soirées qu’ils organisent à l’intention des célibataires font un tabac. Le prix d’entrée avoisine 20 euros, avec une consommation comprise.
Naguère, les mariages étaient pour la plupart arrangés par les familles. Aujourd’hui, c’est Internet qui joue le rôle d’entremetteur. Bienvenue dans le monde des amours virtuelles !

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires