Iran : Bush cédera-t-il aux va-t-en-guerre ?

Publié le 24 septembre 2006 Lecture : 7 minutes.

Le président des États-Unis est soumis à une énorme pression de la part d’Israël – et des amis néoconservateurs d’Israël à l’intérieur et en dehors de l’administration – pour qu’il durcisse encore sa position à l’égard de l’Iran. Ils veulent que George W. Bush s’engage à bombarder l’Iran si ce dernier ne renonce pas à son programme d’enrichissement de l’uranium, et qu’il le fasse clairement savoir à Téhéran. Ils prétendent que les discours – comme la récente diatribe de Bush dans laquelle il comparait l’Iran à al-Qaïda – ne suffisent pas et qu’ils sont même contre-productifs, car ils pourraient encourager l’Iran à penser que Bush aboie plus qu’il ne mord. Les « durs » israéliens et américains sont convaincus que seule l’action militaire, ou une menace crédible d’y avoir recours, peut maintenant empêcher l’Iran d’acquérir des armes nucléaires, avec toutes les conséquences que cela aurait pour la sécurité d’Israël et l’équilibre du pouvoir dans ce Moyen-Orient stratégiquement vital.
La crainte que Bush puisse céder à cette passion des Israéliens et des néoconservateurs suscite une grande inquiétude à Moscou, Pékin, Paris, Berlin, Rome et dans d’autres capitales où, comme pour inciter Washington à la prudence, les dirigeants politiques se prononcent de plus en plus en faveur du dialogue avec Téhéran et contre l’usage de la force militaire. Ce débat international sur les activités nucléaires de l’Iran survient à un mauvais moment pour Israël, où le Premier ministre Ehoud Olmert se bat pour sa survie politique et celle de sa coalition Kadima-travaillistes.
Le problème iranien est particulièrement inquiétant pour Israël parce qu’il soulève des interrogations fondamentales sur la validité future de la doctrine sécuritaire à laquelle l’État hébreu s’accroche depuis un demi-siècle. Un des points essentiels de cette doctrine est que, pour vivre en sécurité, Israël doit dominer la région militairement et être plus fort que n’importe quelle coalition arabe ou islamique.
La doctrine a pris un rude coup avec la guerre avortée d’Israël au Liban, qui a démontré sa vulnérabilité face aux roquettes du Hezbollah et au défi d’une guérilla « asymétrique ». Les Israéliens – surtout ceux qui vivent dans le Nord, plus exposé, et où un million de personnes ont dû se réfugier dans les abris – ont eu la très mauvaise surprise de constater que la guerre avait touché le territoire même d’Israël. Toutes les guerres précédentes s’étaient déroulées sur les seuls territoires arabes ; et c’était devenu une sorte d’évidence pour l’armée israélienne.
Autre cause d’inquiétude pour la droite israélienne – les colons, les partis nationalistes religieux, le Likoud et Kadima, la droite est majoritaire -, Tel-Aviv est soumis à une pression internationale de plus en plus forte pour qu’il négocie avec les Palestiniens en vue de créer un État palestinien. Des voix influentes demandent une conférence internationale, une sorte de Madrid II, pour relancer le processus de paix. Dépassant le clivage paralysant entre le Hamas et le Fatah, les Palestiniens eux-mêmes ont formé un gouvernement d’union nationale. Il sera donc encore plus difficile pour les Israéliens de prétendre qu’ils « n’ont pas de partenaire » avec qui négocier. Même Tony Blair, que l’État hébreu croyait solidement intégré au camp israélo-américain, a récemment demandé que le boycottage économique des Palestiniens soit levé lorsque le gouvernement d’union nationale sera constitué.
Ce sont là de très mauvaises nouvelles pour la droite israélienne et ses alliés américains. Ils avaient espéré que la formule « la paix contre la terre » de la résolution 242 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies en 1967 était définitivement enterrée. Ils veulent briser le mouvement national palestinien – d’où les attaques incessantes d’Olmert contre Gaza et la Cisjordanie -, et non pas négocier avec lui un compromis politique. Ils veulent s’approprier davantage de territoires palestiniens, et non pas se retirer derrière les frontières de 1967.
Tel est le contexte de l’agitation actuelle sur les activités nucléaires de l’Iran. Une bombe iranienne mettrait fin au monopole régional d’Israël sur les armes nucléaires. Elle obligerait ce dernier à accepter une forme d’équilibre du pouvoir, à tout le moins d’équilibre de la dissuasion. Mais les Israéliens, eux, poussent des hauts cris et affirment qu’une bombe iranienne représenterait une « menace existentielle » pour leur pays. On peut se demander s’ils croient vraiment que l’Iran pourrait les attaquer et risquer un suicide national, ou s’ils se refusent simplement à envisager un Moyen-Orient où ils ne jouiraient plus d’une supériorité écrasante, et dans lequel leurs possibilités d’attaquer leurs voisins et de persécuter les Palestiniens seraient limitées.
Lorsqu’il a détruit le réacteur nucléaire irakien de fabrication française en 1981, Israël a fait savoir clairement qu’il lancerait une attaque préemptive contre le programme nucléaire de tout État hostile de la région. Le message que Tel-Aviv et ses amis envoient aujourd’hui au président Bush est le suivant : si les États-Unis ne bombardent pas l’Iran, Israël s’en chargera. L’avertissement a été délivré sans ambiguïté, l’autre semaine, par Efraïm Inbar, professeur de sciences politiques à l’université Bar-Ilan et analyste connu de l’aile droite israélienne. « Israël, écrit-il, peut procéder à une frappe préemptive limitée. Il a sans aucun doute le matériel, le personnel et le courage nécessaires pour détruire les principales installations nucléaires iraniennes. Quoique moins qualifiés que les États-Unis pour s’acquitter de cette tâche, les militaires israéliens sont capables de toucher en Iran des cibles appropriées. Ayant plus à perdre que les États-Unis si l’Iran devient une puissance nucléaire, Israël a plus de raisons de frapper. »
Ce point de vue a des échos aux États-Unis chez les commentateurs pro-israéliens, tels que Danielle Pletka, de l’American Entreprise Institute. « Les propositions de dialogue avec l’Iran sont une perte de temps, écrit-elle. L’Iran exerce chez lui une oppression impitoyable, alimente le terrorisme à l’étranger et s’est engagé dans la prolifération nucléaire en toute impunité Nous parlons de parler depuis trop longtemps, il doit y avoir d’autres options. » Et elle agite cette menace : « Il n’est pas très avisé d’imposer aux Américains un choix entre ne rien faire et aller jusqu’au bout. Mais il se pourrait qu’on en soit là. »
Les commentateurs tels que Inbar et Pletka, et beaucoup d’Américains et d’Israéliens qui partagent leur jusqu’au-boutisme, se méfient profondément de ce qu’ils considèrent comme la duplicité iranienne et dont ils craignent que les Européens ne soient dupes. Ils sont scandalisés par les négociations en cours entre Javier Solana, haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère, et Ali Larijani, le principal négociateur nucléaire iranien.
La suggestion que l’Iran puisse arrêter l’enrichissement de l’uranium pendant un mois ou deux leur apparaît comme une manuvre pour diviser le Conseil de sécurité et écarter la menace de sanctions. Ils estiment que la communauté nationale s’oriente vers une position qui permettrait à l’Iran de produire du combustible nucléaire sous la surveillance de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Pour eux, ce serait un pas de plus vers l’acceptation d’une bombe iranienne dans un avenir proche.
La véritable crainte des « durs » est que les États-Unis acceptent des entretiens directs avec l’Iran qui légitimeraient le régime théocratique, renforcerait considérablement la stature de la République islamique comme puissance dominante dans le Golfe, de sorte qu’Israël perdrait sa position d’allié exclusif de l’Amérique dans la région.
Pour les néoconservateurs de Washington, la bataille menée pour peser sur la politique américaine à l’égard de l’Iran est un test capital au moment où leur influence décline. Ils ont joué un rôle décisif pour persuader les États-Unis de faire la guerre en Irak. Ils ont réclamé la destruction du gouvernement du Hamas dans les territoires palestiniens. Ils ont apporté un soutien sans réserve à la guerre d’Israël contre le Hezbollah, présenté comme un « mouvement terroriste » et un poste avancé de l’Iran. Mais ils ont perdu du terrain à Washington. La guerre en Irak a tourné à la catastrophe stratégique, et un autre désastre se profile en Afghanistan. L’antiaméricanisme dans le monde arabo-islamique bat tous les records. Des néocons influents comme Paul Wolfowitz, Douglas Feith et Lewis Libby ne font plus partie de l’administration. Pour ceux qui restent – dont leur porte-drapeau, William Kristol, le directeur du Weekly Standard -, perdre la bataille sur l’Iran pourrait être un coup fatal. Leur ultime cauchemar serait que les États-Unis soient amenés à s’appuyer sur l’Iran pour stabiliser la situation dangereusement chaotique qui prévaut en Afghanistan et en Irak. Le voyage que vient de faire à Téhéran le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki leur paraît un signe de très mauvais augure.

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