Trahis par leurs déclarations

Publié le 24 juillet 2005 Lecture : 6 minutes.

Notre métier à nous, observateurs de la vie publique qui sommes chargés de l’interpréter pour vous aider à la mieux comprendre, nous conduit à faire très attention à ce que déclarent ses acteurs. Pour en déduire où ils en sont – à un moment donné – et où ils veulent aller.
Cela nous aide et, nous l’espérons, vous aide, à travers nos analyses, à décrypter le présent, à anticiper le proche avenir.
Nous soutenons en effet qu’un homme ou une femme qui joue un rôle important, quelle que soit sa capacité de dissimulation, révèle les ressorts de sa personnalité et annonce, dans ses déclarations publiques, sans d’ailleurs toujours s’en rendre compte, ses actions futures.
C’est plus vrai aujourd’hui qu’hier (ou avant-hier) parce que les acteurs de la vie publique, en démocratie et même sous un régime autocratique, sacrifient plus souvent à la nécessité de s’exprimer ou, plus précisément, à celle de « communiquer ».
Cela posé, examinons ensemble les propos récents de deux personnalités importantes, très différentes l’une de l’autre : Jacques Chirac et Mouammar Kadhafi.

1. Jacques Chirac. Nous savons tous que le président de la République française est à quelque vingt mois du terme de son deuxième (et sans doute dernier) mandat et qu’il traverse en ce moment une très mauvaise passe.
Ses compatriotes et les partenaires de la France n’en étaient que plus curieux d’entendre ce qu’il allait dire en réponse aux questions des journalistes à l’occasion de l’interview traditionnelle du 14 Juillet. Les questions :
– « Regrettez-vous votre décision d’organiser un référendum pour faire approuver la Constitution européenne alors que vous auriez pu, comme les dirigeants de la plupart des autres pays, la soumettre au Parlement (il l’aurait approuvée haut la main) ? »
– « Vous êtes-vous senti humilié par le fait que 55 % des votants vous ont dit « non » alors que vous avez appelé à voter « oui » ? »
– « Avant le scrutin, pour tenter de convaincre les Français de voter « oui », vous les avez prévenus : « Un non arrêterait la construction européenne et ferait de la France le mouton noir de l’Europe. »
Qu’en est-il maintenant que l’irréparable a eu lieu ? »

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À ces trois questions posées par nos confrères, Jacques Chirac a répondu, sans ciller, par un triple « non » : Non, je ne regrette pas d’avoir soumis l’approbation de la Constitution européenne à référendum ! Non, je ne me sens pas humilié de n’avoir pas été entendu ni suivi par la majorité des électeurs ! Non, la France n’est pas affaiblie par son vote négatif ; je ne sens rien de tel quand je participe aux réunions européennes ou internationales…
Certains admireront l’aplomb de ce vieux routier de la politique qui, impavide, applique une vieille règle de son métier : ne pas reconnaître ses erreurs, ne pas s’excuser, ne pas se plaindre.
Mais beaucoup, dont je suis, jugent impardonnable que, ayant pris une décision qui n’était pas nécessaire et se révèle calamiteuse pour son pays, qu’elle déboussole – et surtout pour l’Europe, qu’elle met en crise -, un responsable politique de ce niveau nie sa responsabilité et dise, en somme : « Il n’y a pas de problème, tout va aussi bien que possible… »

Cette attitude a cependant le mérite de décrire l’homme qui l’a choisie, en donnant la clé du personnage : depuis qu’il est entré en politique, et singulièrement depuis qu’il a atteint le sommet de l’État, il y a dix ans, Jacques Chirac ne fait rien d’autre que surfer sur la vague, contourner les difficultés et les obstacles, reporter les échéances, minimiser les problèmes ou promettre des solutions qu’il oubliera d’apporter.
C’est ainsi, soit dit en passant, qu’il a géré la crise ivoirienne depuis 1999 et c’est ainsi qu’il a fait perdre à la France, depuis 1995, une bonne part du crédit et de l’influence qui lui restaient en Afrique.

2. Mouammar Kadhafi. Son cas, je le répète, est différent ; il est d’ailleurs bien plus grave.
Nous vous avons donné à lire il y a deux semaines, dans notre numéro 2322, un florilège de déclarations faites par le « Guide de la grande Jamahiriya libyenne », le 4 juillet, à l’ouverture du Sommet de l’Union africaine qui se tenait à Syrte.
Ceux d’entre vous qui ont lu ces propos n’ont pas pu ne pas être choqués par ce que Kadhafi a osé dire du sida :
« Les pays riches cherchent à nous occuper avec le sida et l’aide pour lutter contre le sida. Cette maladie n’a pas été découverte, chez nous, dans les années 1980. Elle existait depuis des siècles, et nous avions toujours vécu avec. […] Le sida n’est pas pour nous un problème (sic).
Notre croissance démographique moyenne s’élève à 3 %. Quelles que soient les conséquences du sida, nous n’aurons pas de problème. Hier, nous n’étions que 250 millions. Aujourd’hui, la population globale du continent s’élève à 700 millions. Demain, nous serons 1 milliard. »

Me choque tout autant, personnellement, une autre diatribe-divagation contre la mendicité, dont nous pouvons extraire ceci :
« Cessez de mendier, a dit Kadhafi à ses hôtes africains (chefs d’État et de gouvernement, ministres…). Nous ne sommes pas des mendiants à la porte des pays riches. Nous n’avons pas besoin d’assistance ou de charité. »
Voilà un homme qui est au pouvoir depuis trente-six ans. Il dit à qui veut l’entendre qu’il n’est pas chef d’État. Peut-être, mais il s’est arrangé pour être l’unique ordonnateur de tout l’argent dont dispose la Libye (et qui provient du pétrole découvert – avant lui – et exploité par les compagnies euro-américaines). Il est seul à avoir librement accès à cet argent et il décide seul de le dépenser comme il l’entend.
Qu’a-t-il fait pour que les Africains n’aient plus besoin de mendier ? Absolument rien.
J’ai calculé que la Libye de Kadhafi avait reçu, en trente-six ans, plus de 400 milliards de dollars provenant de l’exploitation de son pétrole. Son « Guide » en a donné des miettes, quand cela lui convenait, à des dirigeants ou des opposants africains et il a consacré quelques millions à acheter – à bas prix – des entreprises africaines (des hôtels, en particulier). Mais il n’a élaboré aucune politique d’aide au développement et n’a aidé aucun pays africain à sortir de sa condition de mendiant.

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A-t-il seulement utilisé ces 400 milliards de dollars dont il a disposé à développer son propre pays ? Allez le voir, ce pays : ni industries manufacturières ni agriculture dignes de ce nom, ni hôpitaux ni écoles en quantité suffisante.
Où est passé l’argent ?
La plus grande partie a été gaspillée :
– en armements divers achetés en pagaille à l’URSS et à la France – souvenez-vous des 110 Mirage commandés dans les années 1970 à Marcel Dassault*, et qui n’ont jamais été utilisés ;
– en actes de terrorisme coûteux à perpétrer et plus coûteux encore à réparer : près de 5 milliards de dollars payés aux victimes et aux avocats ;
– en armes chimiques et nucléaires de destruction massive acquises très cher, jamais déballées de leurs caisses et… livrées gratuitement aux États-Unis il y a deux ans pour tenter de les amadouer.

S’il avait été plus avisé, l’ex-« berger de Syrte » aurait tenu sa langue. Et il se serait dit ses deux vérités :
– sans les compagnies pétrolières euro-américaines, j’aurais été, moi Kadhafi, au beau milieu de la cohorte des mendiants ;
– dans quatre ou cinq décennies, le pétrole sera épuisé ou supplanté par d’autres sources d’énergie. Si, d’ici là, mes successeurs n’ont pas agi autrement que je ne l’ai fait moi-même, la Libye sera bien obligée de prendre sa place parmi les pays mendiants…

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* À la vue du chèque de plusieurs centaines de millions de dollars qu’il a reçu d’avance, l’avionneur français, n’en croyant pas ses yeux, se serait exclamé, non sans humour : J’ai eu bien raison d’appeler cet avion « Mirage » !

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