Mobilisation générale

Au mois de juin, Brazzaville a accueilli les premiers états généraux mondiaux de la drépanocytose, une maladie génétique mal connue.

Publié le 24 juillet 2005 Lecture : 5 minutes.

Se tordant de douleur, souffrant d’anémie, les pieds enflés et la rate hypertrophiée, Ayouroubi a tous les symptômes de la drépanocytose. Âgé de 6 ans, il a été admis la veille au service pédiatrique du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Brazzaville pour une énième hospitalisation. Assise sur le bord du lit, consultant régulièrement la Bible le regard dans le vide, démunie devant la souffrance de son fils, Oka s’en remet à la médecine. Le docteur M’Pemba Loufoua ausculte l’enfant. Il n’y a pas de doute. Seule une opération et une ablation de la rate pourraient le soulager. La radio effectuée le matin même confirme le diagnostic, mais cette intervention chirurgicale coûte 200 000 F CFA. Impossible de débourser une telle somme pour cette famille dont les parents sont sans emploi. À défaut, le petit subira une nouvelle transfusion sanguine. Un moindre mal, en attendant une nouvelle crise. « Avec la drépanocytose, le sang n’est pas assez oxygéné, les globules rouges se rigidifient et se figent, entraînant d’atroces douleurs. Les autres conséquences sont l’anémie, des infections et la déréglementation de la rate, qui séquestre les globules rouges », précise le médecin.
« Des patients comme celui-ci, nous en recevons très régulièrement, explique la surveillante générale du service, Obouo Itokissi, surtout les mardis et les vendredis, jours de consultation consacrés à la drépanocytose. » Une bonne vingtaine de patients de tous âges sont assis dans la salle d’attente. Certains viennent pour une simple visite de contrôle. D’autres sont victimes de douleurs osseuses insupportables et espèrent un traitement. Depuis le début de l’année, deux enfants sont morts, mais cette issue fatale aurait pu être évitée s’ils étaient venus plus tôt, estime l’équipe médicale. La première consultation coûte 5 000 F CFA. Les suivantes sont gratuites, mais, en cas d’hospitalisation, les familles doivent débourser 5 000 F CFA par nuit, sans compter les soins et les médicaments. « Les dépenses dépassent ainsi facilement 30 000 F CFA », calcule Evelyne Ngoma, l’assistante sociale qui demande aux mairies des prises en charge pour les plus nécessiteux. « La solution serait la gratuité, mais pour cela, il nous faut une aide extérieure, déclare-t-elle. En attendant, on ne renvoie jamais un malade et, s’il le faut, on se cotise. »
Au même moment, au Palais du Parlement situé à quelques rues du CHU, se terminent les états généraux de la drépanocytose, placés sous la présidence des premières dames du Congo et du Sénégal, Antoinette Sassou Nguesso et Viviane Wade. Après quatre jours de débats, du 14 au 17 juin, réunissant médecins, chercheurs, associations, malades et politiques, « l’appel de Brazzaville » consiste surtout à vaincre l’indifférence qui entoure cette maladie héréditaire et à sensibiliser la communauté internationale. « Cinquante millions de personnes vivent avec le gène de la drépanocytose dans le monde et, en Afrique, 300 000 enfants naissent chaque année atteints par cette pathologie », déclare Edwige Ebakisse-Badassou, présidente de l’Organisation internationale de lutte contre la drépanocytose (OILD). La grande majorité de ces enfants meurt avant l’âge de 5 ans, alors qu’une bonne prise en charge réduit presque à zéro le taux de mortalité.
« Il n’y a rien de magique », déclare le professeur Frédéric Galactéros, responsable des maladies génétiques du globule rouge à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (France). Grâce aux progrès de la science et aux recherches menées sur les maladies génétiques, les modes de transmission sont connus et une prise de sang suffit pour détecter les porteurs sains du gène de la drépanocytose. Il s’agit du gène « S », parfaitement identifié à ce jour. Ces porteurs sains, appelés hétérozygotes et moins vulnérables aux formes violentes du paludisme, sont donc surreprésentés dans les régions tropicales. Une sélection naturelle à l’envers, en quelque sorte. En Afrique, de 10 % à 35 % de la population vivrait avec ce gène. Mais en cas de reproduction, un couple hétérozygote risque de donner naissance à des enfants homozygotes, porteurs de deux gènes « S ». Ce patrimoine génétique entraîne alors forcément une mutation de l’hémoglobine et un développement de la maladie.
« Mais il n’y a pas de fatalité, rassure Frédéric Galactéros. Avec des soins appropriés, principalement à base de compléments nutritionnels, des habitudes de vie adaptées et des médicaments finalement assez accessibles, on peut très bien vivre avec cette maladie. Il faut seulement des soins quotidiens pour éviter les anémies et les infections », conclut-il.
« C’est donc avant tout une maladie de l’ignorance et de l’injustice », estime le professeur Gil Tchernia, du Centre hospitalier universitaire de Bicêtre, en région parisienne. Et c’est bien là le principal enjeu de ces états généraux : convaincre les Nations unies – et notamment l’Organisation mondiale de la santé (OMS) – de placer la drépanocytose au rang de priorité, au même titre que le sida, le paludisme et la tuberculose. Si cette décision était prise, tous les conférenciers présents à Brazzaville en sont persuadés, il serait plus facile de décliner les politiques de prévention, former les personnels hospitaliers, sensibiliser les familles, financer les programmes thérapeutiques et soutenir les nombreuses expériences menées sur le continent. En RD Congo, l’ONG Noir et Blanc peine à réunir les budgets nécessaires pour assurer le fonctionnement d’une Maison des enfants drépanocytaires, fréquentée par 340 malades à Kinshasa. « On peut reproduire cela dans toute la ville, mais les moyens manquent », regrette le docteur Pierre Caron, vice-président de l’ONG, qui annonce toutefois l’arrivée prochaine d’un camion médical pour développer le dépistage dans les quartiers périphériques de cette ville tentaculaire. Le docteur Léon Tshilolo a, pour sa part, créé la clinique privée de Monkolé. La qualité des soins répond aux normes internationales et des tests sont effectués dès la naissance pour un diagnostic le plus précoce possible, mais il faut compter entre 40 et 100 dollars pour un vaccin contre les infections (la pneumonie en particulier), au moins 20 dollars pour une transfusion sanguine et plus de 1 000 dollars pour une opération. « C’est prohibitif », déplore Monika Joelle Tuma Waku, présidente de l’Association des anémiques, qui a subi cinq interventions chirurgicales.
De l’autre côté du fleuve, à Brazzaville, Zoulou Yasangouet cache sa maigreur sous un vieux blouson et déambule dans les longs couloirs du Palais du Parlement. Il a suivi l’ensemble des travaux des états généraux, avec l’attention et l’impatience de ceux qui ont placé leur vie entre les mains de la médecine. Des transfusions sanguines jusqu’à l’âge de 16 ans, des douleurs osseuses, une anémie chronique et une infection récurrente à la cheville droite : Zoulou est passé par toutes les étapes de la maladie. « Les débats ont été intéressants, mais il faut maintenant mettre en oeuvre ces bonnes paroles », prononce d’une voix douce le jeune homme de 31 ans. Paraissant en avoir dix de moins, il n’a jamais pu travailler. Son urgence à lui, c’est de pouvoir manger plus régulièrement des légumes et des fruits riches en vitamines et en protéines.

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