La voie de la sagesse

Publié le 24 juillet 2005 Lecture : 3 minutes.

C’est un petit pays du golfe de Guinée, l’un de ceux que l’on range parmi les moins avancés, et qui fut jadis marché d’esclaves pour le « Nouveau Monde ».
C’est un pays sans prétention, qui ne joue pas dans la cour des Grands. Il abrite moins de sept millions d’habitants et ne produit désormais qu’un peu de coton vendu au prix imposé par les puissantes forces du marché multinational.
On le connaissait sous le nom de « Dahomey », terre des célèbres amazones, impitoyables guerrières protectrices de rois nègres pourtant reconnus de Cours européennes du XVIIe siècle.
Quelqu’un (Emmanuel Mounier) s’avisa un jour d’appeler ce bout de terre « Quartier latin de l’Afrique ».
Oui, Quartier latin, ce pays marqué par un esprit critique prononcé, presque redouté des anciens gouverneurs coloniaux dont certains ne purent y séjourner plus d’une année. Mais territoire riche en hommes et en femmes qui donnèrent à l’Afrique-Occidentale et à l’Afrique- Équatoriale françaises de nombreux instituteurs, médecins, sages-femmes, administrateurs principaux – tous réputés de grande qualité.
Ce Dahomey devint indépendant comme d’autres territoires en l’année 1960.
Sa turbulente petite histoire politique est connue de tous les observateurs de la scène africaine :
Trois présidents irréconciliables, coups d’État à répétition, République populaire marxiste-léniniste, Conférence nationale souveraine, renouveau démocratique…
Rescapé de ceux qui ne voulaient plus se battre et se faire tuer dans des batailles perdues qui n’étaient pas les leurs, Mathieu Kérékou, surgi d’une armée oisive après les aventures d’Indochine et d’Algérie, finit par s’imposer en son Dahomey natal, gouvernant sans partage pendant dix-huit ans sous le régime d’un « Parti de révolution populaire… » Comme il arrive souvent dans ces cas où l’intelligence déserte le forum, Kérékou sombra dans le discrédit et l’impopularité que suscitent les salaires impayés. Il dut son salut à une Conférence nationale des forces vives qui lui ménagea une sortie honorable. Il fut encore récompensé par surprise quelques années plus tard en tirant bénéfice de sa capacité – réelle ou feinte – de rassembler pour mieux gérer l’unité nationale dans un cadre de démocratie apaisée.
Mais le jeu démocratique constitutionnel voulu au Bénin par la Conférence nationale est soumis à des règles pareilles aux codes secrets du culte vaudoun. Y déroger signifie se suicider.
Kérékou l’a parfaitement compris.
Malgré les exhortations tapageuses d’un entourage de courtisans aux abois, il vient de décider de quitter définitivement la scène politique. En avril 2006, celui qui se fait surnommer « le Caméléon » prendra les couleurs du citoyen, ancien président de la République.
Ainsi, comme hier au Ghana, au Mali et au Mozambique, c’est du Bénin aujourd’hui que l’Afrique entend la voix des nouvelles exigences de peuples profondément humiliés et sourdement révoltés par ces parodies électorales misérables que bénissent des partenaires cyniques, et ces référendums piteux approuvant des mutations constitutionnelles médiocres.
L’Histoire jugera les avatars du gouvernement révolutionnaire du Bénin, les tentatives et les balbutiements du Renouveau démocratique. Elle sera souvent sévère et parfois indulgente. Mais elle retiendra sûrement pour le bénéfice de l’Afrique entière l’impérieuse leçon dont l’actuel chef de l’État béninois vient de se faire l’instrument :
« Tenir au pouvoir est une faiblesse qui obscurcit le jugement » car « Tout pouvoir livré à lui-même devient fou ».
Et cette démence qui prive les peuples souverains de leur droit légitime à renaître et à progresser, voilà le crime dont nul ne se relève. Mathieu Kérékou échappe justement à cette malédiction tout comme bientôt Benjamin Mkapa de Tanzanie.
Dans la course pour grandir jusqu’au Conseil de sécurité, le modeste Bénin n’est pas allé s’essouffler. Il a intelligemment choisi d’écouter son génie propre et de rejoindre ainsi la sagesse universelle :
« Si tu ne peux être pin au sommet du coteau
Sois broussaille dans la vallée…
« Si tu ne peux être soleil, sois étoile…
Ce n’est point par la taille que tu vaincras.
Sois le meilleur, quoi que tu sois. »
Le Bénin, pôle d’intelligence démocratique et de développement solidaire ? Petite lampe allumée dans « l’horreur d’une profonde nuit » ?
En vérité, pourquoi pas ?

* Ancien secrétaire général adjoint des Nations unies.

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