Exorcisme
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Il est une condition, aujourd’hui sine qua non, de la bonne gouvernance : celle de l’État de droit. Du degré de confiance que les justiciables, qu’ils soient nationaux ou étrangers, simples citoyens ou investisseurs, portent à la justice d’un pays dépendent in fine sa stabilité politique et son attractivité économique, en un mot son développement. C’est dire donc si le procès dit des « disparus du Beach », qui s’est ouvert à Brazzaville le 19 juillet, risque d’être lourd de conséquences, positives ou négatives. Bâclé, il sera synonyme de régression, et l’image d’un Congo enfin débarrassé de ses démons se dissipera aussi vite qu’un mirage. Convaincant, il donnera crédit aux efforts de séduction déployés par le régime à l’égard de la communauté internationale.
Ce n’est pas faire injure aux magistrats et aux jurés du tribunal de Brazzaville qui auront à décider du sort de seize inculpés, dont quatre officiers généraux accusés de « génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et assassinats », que de dire qu’ils ont, en matière d’indépendance, presque tout à prouver. Depuis l’époque des juridictions d’exception et des procès politiques – notamment celui des assassins présumés de Marien Ngouabi il y a près de trente ans -, les Congolais ont avec leur justice une relation faite de défiance et de scepticisme. Pour eux, comme pour nombre d’observateurs étrangers, les juges sont aux ordres, et les verdicts dans les affaires de ce type sont dictés par la présidence. Nier ce profond déficit de confiance ne sert à rien : si l’on veut que la justice congolaise sorte grandie de cette affaire, autant savoir d’où l’on part.
Doit-on pour autant, à l’instar des ONG qui boycottent ce procès, estimer que, la procédure étant viciée à la base, le jugement de Brazzaville ne sera qu’une parodie ? A priori non, sous réserve d’inventaire à l’issue dudit procès. Soixante et une parties civiles représentant autant de disparus doivent en effet témoigner publiquement au cours d’audiences retransmises en direct à la radio et à la télévision. S’il va jusqu’à son terme en toute transparence, l’exercice rappellera aux Congolais les psychodrames médiatisés de la Conférence nationale de 1991, et nul ne peut prétendre, même au Congo, qu’un jury de cour d’assises ne comporte pas une part d’inconnu. Avancer que tout est ficelé à l’avance est donc pour le moins prématuré, d’autant que les positions du pouvoir ont, en la matière – et en partie sous la pression -, sensiblement évolué depuis les faits, en mai 1999. Du négationnisme pur et simple, on est passé à la thèse des bavures isolées, puis à l’inculpation d’officiers généraux en activité -, ce qui, dans la mesure où le régime en place est le même qu’il y a six ans, constitue une première sur le continent, et même au-delà, ainsi que le démontrent les précédents chilien et argentin.
Connaîtra-t-on enfin « toute la vérité » sur ces tragiques événements ? Ce n’est pas sûr. Le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU, censé superviser à l’époque le rapatriement des Congolais depuis la rive gauche du fleuve, s’étant mis en situation de faute professionnelle en étant absent lors de leur réception sur le Beach de Brazzaville, des zones d’ombre subsisteront sans doute encore longtemps, tant à propos de la chaîne hiérarchique des responsabilités que de l’identité même des victimes : aucune liste complète des 353 présumés disparus n’a jamais été fournie par les ONG et aucun corps n’a jamais été découvert.
À tout le moins doit-on espérer que « la vérité », même partielle, sortira de ce procès. Aux juges et aux jurés de démontrer qu’ils savent leur devoir et qu’ils font leur métier. Il n’y a rien de pire que les exorcismes avortés.
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