Quai Branly Pari gagné

Le nouvel établissement parisien a accueilli 1,7 million de visiteurs depuis son ouverture, le 20 juin 2006. Comment expliquer un tel engouement pour les arts dits premiers ?

Publié le 24 juin 2007 Lecture : 5 minutes.

Certes, le Quai Branly n’est pas le Louvre. Le musée des Arts et Civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques a néanmoins reçu 1,7 million de visiteurs pour sa première année (le Louvre en a accueilli 8,3 millions en 2006), alors qu’on en attendait 1,2 million.
Lors de l’inauguration, le 20 juin 2006, le pari était loin d’être gagné. Les détracteurs du nouvel ensemble culturel étaient nombreux, à commencer par les personnels des deux établissements – le musée de l’Homme et celui des Arts d’Afrique et d’Océanie (MAAO) – dont sa construction avait entraîné la fermeture. « Un musée spectacle, criait-on, prétentieux, qui abandonne sa vocation universaliste et encyclopédique en ne retenant les objets que s’ils sont exotiques. » On reprochait au Quai Branly d’être ethnocentrique (l’Europe est exclue des arts premiers), d’appréhender les objets d’un point de vue esthétique et non selon la place qu’ils occupent dans leur culture. En 2001, une pétition contre le « musée Chirac » avait recueilli plus de 50 000 signatures.
Voulu, dès le début des années 1990, par l’ancien président de la République (voir J.A. n° 2419), le musée du Quai Branly est né des dépouilles de deux symboles poussiéreux du passé colonial français, rassemblant les 250 000 pièces du musée de l’Homme et les 30 000 uvres des collections du MAAO, ex-musée des Colonies, créé à l’occasion de l’exposition coloniale de 1931. Mais quel nom donner à ce lieu ? Musée des Arts « primitifs » ? Des Arts « tribaux » ? Des Arts « premiers » ? Ces qualificatifs peuvent paraître condescendants et empreints de jugement de valeur. La solution finalement adoptée sera toponymique. Le site choisi en 1998 est un terrain vague situé le long de la Seine, quai Branly, face à la tour Eiffel. Jean Nouvel, le père de l’Institut du monde arabe, en sera l’architecte.
Après cinq années de travaux – et de polémiques – sort du sol un étrange bâtiment, aux couleurs chatoyantes. Un camaïeu de rouges et d’ocres sur fond de végétation. Construit au milieu d’un jardin, « le musée ne se montre pas de façon triomphale », ainsi que l’a souhaité Nouvel. Il se dissimule derrière un mur végétal de 800 m2.
Ce haut lieu de l’architecture contemporaine a coûté la bagatelle de 270 millions d’euros, dont 232 ont été financés par les deux ministères de tutelles, la Culture et la Recherche, qui prennent en charge 52 des 62 millions du budget de fonctionnement. Le reste est autofinancé en grande partie par la billetterie (7 millions).
Mais Branly, c’est surtout un nouveau concept. À l’intérieur, pas de salles rectangulaires de part et d’autre d’une galerie rectiligne mais un couloir en forme de serpent. « J’ai voulu gommer toute référence à l’architecture occidentale et à ce qui risquait d’interférer avec les collections », explique Nouvel. Dans une certaine pénombre, on slalome entre les collections, passant d’une zone géographique à une autre, presque sans s’en apercevoir. On ne va pas « de manière linéaire de la vitrine 1 à la vitrine 100 », reconnaît Stéphane Martin, directeur du Quai Branly.

Et c’est bien là le problème pour de nombreux visiteurs. Le parcours n’est pas balisé. Les informations sont insuffisantes, les uvres faiblement éclairées. Les plus âgés sont perdus, décontenancés. Du coup, l’utilisation des audioguides est nettement plus importante que dans les autres musées.
Conscient de ces problèmes grâce à des enquêtes qualité, le musée a réagi. Quatre cents lampes ont été installées ainsi que des filtres pour protéger les uvres d’un éclairage trop fort. Nouvelle signalétique, tables d’orientation géographique, panneaux indicateurs plus riches en informations : les améliorations sont substantielles.
Près d’un quart des visiteurs a entre 18 et 35 ans. Ce jeune public, lui, est à l’aise, passant sans problème d’un continent à un autre. « Sans doute assistons-nous à une transformation complète de notre approche du musée, convient Stéphane Martin. Avant, on allait au musée un peu comme à l’église. On y adoptait une attitude passive, religieuse. Désormais, les gens s’y rendent de manière plus fréquente, moins longue et plus décontractée. » Une visite moyenne dure tout de même deux heures et demie.
En inscrivant dans son calendrier des fêtes traditionnelles comme le Diwali (la fête indienne des Lumières), le Quai Branly s’adresse aux diasporas et par là même à un public qui n’a pas l’habitude d’aller au musée. Contrairement à d’autres établissements parisiens, Branly attire peu les touristes. Seulement 20 % des visiteurs sont étrangers, contre 67 % au Louvre. Vingt autres pour cent viennent de Paris, et autant d’Ile-de-France. Reste, donc, 40 % de visiteurs de province. Un record. Le Louvre n’en attire que 33 %. Le succès est tel qu’en un an Branly a presque atteint sa capacité maximale (1,9 million d’entrées) alors que le musée de l’Homme enregistrait à peine 150 000 personnes chaque année. Les expositions temporaires ont séduit 250 000 curieux. Au bout de six mois, un visiteur sur six est revenu une seconde fois.
Un engouement qu’explique en grande partie la programmation. Chaque année, le musée propose dix expositions temporaires, une vingtaine de concerts, des projections de film, des ateliers pour enfants, des conférences. L’université populaire dirigée par la philosophe et écrivaine Catherine Clément a accueilli 700 étudiants et 70 enseignants. Neuf mille auditeurs ont assisté à des cours magistraux sur des sujets peu enseignés à l’université, comme l’histoire coloniale. Au niveau international, Branly commence à être connu grâce à la création d’un groupement de recherche international en association avec le CNRS et une dizaine d’instituts français et étrangers.
Pour fêter ce premier anniversaire, pas de feu d’artifice, pas de festivités grandioses, mais un week-end gratuit les 23 et 24 juin, un colloque international sur l’histoire de l’art et l’anthropologie, deux expositions ouvertes jusqu’au 16 septembre, l’une intitulée « Objets blessés, la réparation en Afrique », l’autre « Ideqqi, art de femmes berbères ».
Branly surprend : on le dit musée des « Arts premiers », il offre de l’art dernier. Deux expositions, « La bouche du roi » du Béninois Romuald Hazoumé, et « Jardin d’amour » du Londonien d’origine nigériane Yinka Shonibare, ont fait entrer l’art contemporain africain au cur de Branly dont l’objectif prioritaire est de réhabiliter les cultures extra-européennes et de nouer un dialogue avec les pays d’origine des collections. Stéphane Martin définit le Quai Branly comme « le musée de l’après-11 septembre 2001 » qui doit répondre à de nouvelles interrogations : Comment vivre avec l’autre ? Comment construire un monde multiculturel ? C’est peut-être la fin du musée ethnologique tel qu’on l’a connu.

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