Autocinéfiction
Persepolis, qui sort aujourd’hui dans les salles après sa présentation à Cannes le mois dernier, est une première à bien des titres. Déjà, il est fort rare que soit sélectionné en compétition officielle un pur film d’animation. Plus encore qu’il soit primé : il a reçu en effet le prestigieux Prix du jury. Mais il s’agit en plus d’un dessin animé peu banal. Par son esthétique – il est en noir et blanc et dans un style très graphique – et par son contenu : l’autobiographie d’une jeune Iranienne, Marjane Satrapi, née en 1969, dix ans avant le renversement du régime du shah et l’instauration de la République islamique. Une adaptation, en fait, par son auteur, avec la collaboration d’un autre bédéiste de talent, le Français Vincent Paronnaud, des quatre albums parus sous le même titre et qui ont connu le succès dans une bonne vingtaine de pays au début des années 2000.
Si le film a été applaudi près de vingt minutes lors de sa présentation officielle sur la Croisette, il le devait certainement à ses indéniables qualités. Son dessin très épuré est aussi beau qu’efficace et la transposition du papier sur l’écran est incontestablement très réussie. Par ailleurs, le scénario maintient sans répit l’attention du spectateur en racontant l’enfance de l’auteur dans une famille marxiste à Téhéran, puis son enthousiasme et ses désillusions face à la Révolution islamiste, enfin ses aventures et mésaventures lors d’un premier exil (où elle fuit l’obscurantisme des religieux iraniens pour se retrouver pensionnaire dans un collège catholique des plus traditionalistes en Autriche) suivi d’un second (cette fois en France, où elle dessinera et publiera Persepolis et où elle vit toujours). Car le mariage de la dérision, de l’information et de l’émotion pour évoquer les situations parfois cocasses et souvent dramatiques qu’affronte la jeune Marjane Satrapi, qui peut passer de l’exaltation inconditionnelle à la dépression la plus noire, s’avère des plus heureux.
Il est patent cependant que l’enthousiasme qu’a suscité Persepolis à Cannes devait beaucoup aussi à sa critique féroce du pouvoir et des islamistes, bien que souvent fort humoristique, n’est pas toujours des plus subtiles ni des plus « objectives ». Ce n’est pas nécessairement à regretter – c’est la loi du genre dans un film d’animation -, mais on ne peut pas totalement l’ignorer. Divers officiels iraniens ne s’y sont pas trompés en protestant maladroitement auprès de diplomates français en poste dans leur pays après la sélection du film pour le Festival, ce qui a bien sûr beaucoup fait pour la promotion du long-métrage.
Ce qui, en fait, chagrinait le plus ces responsables en charge de la culture à Téhéran ne pouvait peut-être pas se dire directement. L’attention prêtée à Persepolis a donné l’impression que ce film représentait d’une certaine façon l’Iran alors même qu’il s’agissait officiellement d’une uvre française et que surtout, et pour la deuxième année consécutive, le cinéma proprement iranien, celui qui a connu tant de succès au niveau international depuis une vingtaine d’années, était absent de toutes les sélections à Cannes. Une absence, justifiée par la relative faiblesse de la production iranienne actuelle, qu’on a du mal à accepter à Téhéran. Où l’on a tendance à oublier que les plus grands succès du cinéma iranien contemporain sont des uvres de réalisateurs – les Kiarostami, Makhmalbaf ou Panahi – qui, s’ils n’attaquent pas de front le régime, sont des artistes au sens critique développé et très peu en cour auprès des autorités. Lesquelles se sont pourtant toujours empressées de revendiquer leurs récompenses dans les grands festivals internationaux. Avec Persepolis, une telle récupération nationaliste est évidemment difficile, pour ne pas dire impossible, pour le régime actuel.
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