Trois mondes

Publié le 24 avril 2005 Lecture : 4 minutes.

Il y a tout juste un demi-siècle se tenait la conférence de Bandoung, que nous faisons revivre pour vous dans ce numéro de Jeune Afrique/l’intelligent (pages 16 à 23). Elle a eu un immense retentissement, qui n’est pas retombé à ce jour, parce que les pays du Sud de la planète, ceux d’entre eux, du moins, qui avaient déjà recouvré leur indépendance – ils étaient alors peu nombreux, et certains d’entre eux étaient sous direction communiste -, ont décidé tout à coup et sans même informer les colonisateurs blancs :
de se réunir entre eux pour affirmer à la face des puissants de l’époque :
– qu’ils étaient de retour sur la scène mondiale ;
– et qu’ils allaient oeuvrer à déraciner le colonialisme (il régnait encore sur une partie de l’Asie et sur quasiment toute l’Afrique).
C’était le début d’une révolution.
Aujourd’hui, en avril 2005, cette révolution, conceptuelle et politique, prend une forme économique qui va bouleverser l’équilibre du monde et sur laquelle je vous invite à réfléchir.

Le quart de siècle qui vient de s’écouler a vu le décollage économique, simultané ou presque, de trois grands pays très peuplés : la Chine, l’Inde et le Brésil.
Plusieurs autres pays asiatiques, la Malaisie, la Thaïlande, l’Indonésie, la Turquie, l’Iran*, des pays d’Amérique latine et quelques pays africains (République sud-africaine, Maurice, Botswana, pays du Maghreb) sont, eux aussi, en voie de développement, au sens vrai du terme.
Ainsi donc, plus de 3 milliards d’hommes et de femmes – la moitié de l’humanité -, citoyens d’une quarantaine de pays, ont trouvé, presque en même temps, la clé, ouvert la porte et pris la route du progrès, celle qui conduit au développement économique et au rattrapage des pays riches.
Ils forment désormais ce que je propose d’appeler le deuxième monde, pour le distinguer :
– du premier, composé, lui aussi, de quelque quarante pays : la trentaine de pays membres de l’OCDE, auxquels il faut rajouter la Russie, Israël et plusieurs nouveaux membres de l’Union européenne ;
– et du troisième, le nouveau Tiers Monde, composé, lui, de la petite centaine de pays du Moyen-Orient, d’Afrique subsaharienne et d’Amérique centrale qui n’ont pas encore quitté les rives du sous-développement.

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Dans ces quarante pays du « deuxième monde » est en train de se constituer et de prendre place cette fameuse classe moyenne d’hommes et de femmes éduqués et dont le revenu annuel a franchi le seuil des 3 000 dollars (pour se situer parfois beaucoup plus haut) : ils ne sont pas forcément riches, mais ils se sont nettement éloignés de la pauvreté et du sous-développement.
Ossature de ces nations, la classe moyenne se chiffre, selon les évaluations les plus sérieuses, de 15 % à 30 % de la population de chacun des quarante pays (selon son degré d’évolution) : 150 millions de Chinois, 100 millions d’Indiens en font déjà partie, et leur nombre grandit chaque année.
D’ici à dix ans, dans ce « deuxième monde » en développement économique accéléré, la classe moyenne comptera aux alentours de 1 milliard d’hommes et de femmes, autant que la population totale du premier monde (dont le revenu annuel moyen par tête est, faut-il le rappeler, dix fois plus élevé : 30 000 dollars).
Cette évolution rapide, avec son effet boule de neige, n’a pas de précédent historique. Et, beaucoup plus important, elle a commencé à introduire dans l’économie mondiale des bouleversements inouïs qui vont aller en s’accélérant décennie après décennie.

Dans vingt ans, il y aura plus de voitures et de camions en Chine qu’aux États-Unis, avec un total de près de 200 millions de véhicules (contre 20 millions aujourd’hui). Le Brésil, la Russie et l’Inde en auront également plus que le Japon ; le Royaume-Uni et l’Italie se retrouvant tout en bas de l’échelle (voir graphique n° 1).
Vers 2035, l’Inde devrait compter, elle aussi, plus de propriétaires de voitures que les États-Unis et se retrouver au deuxième rang.
Un monde où il y aura un milliard d’automobiles consommera énormément d’essence – si, comme c’est probable, le moteur à combustion interne reste, pour les premières décennies du siècle, la technologie la plus employée.
La Chine représente déjà 8 % de la demande, et elle a pris la place du Japon comme deuxième importateur mondial. Sa part devrait doubler dans les vingt ans. La demande indienne progresse, elle aussi, rapidement (voir graphique n° 2).
Les autres conséquences de l’industrialisation rapide, à partir des années 1980, d’une moitié de l’humanité sont innombrables, mais encore difficiles à cerner et à mesurer : les prix des ressources mondiales, dont les matières premières autres que le pétrole, l’environnement, les moyens de transport maritimes, aériens et même spatiaux, tout sera bouleversé par l’entrée en scène des « nouveaux pays industriels ».
Les centres de pouvoir ne seront plus les mêmes, ni sur les mêmes continents ou, dans un continent donné, aux mêmes endroits.
Le nouveau Tiers Monde lui-même – les pays qui n’ont pas quitté le sous-développement – aura davantage intérêt à s’inspirer de l’expérience des nouveaux pays développés que de celle de « la vieille Europe » ou de la « vieille Amérique ».

Notre monde n’est plus figé. Il bouge, et dans le bon sens, puisqu’il donne, pour la première fois depuis des siècles, voix au chapitre à ceux qui ne l’avaient pas et qu’on appelait, jusqu’à la fin du XXe siècle, « les damnés de la Terre ».

*Hong Kong et Taiwan s’intègrent à la Chine ; les dragons de la première génération, Corée du Sud, Singapour, ainsi que le Japon et Israël, sont comptés parmi les pays développés.

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