De Niamey à Abuja, voyage en pays haoussa

Publié le 24 avril 2005 Lecture : 5 minutes.

Qui l’eût cru ? Sur les 1 200 kilomètres qui séparent Niamey, capitale du Niger, l’un des pays les plus pauvres de la planète, d’Abuja, capitale fédérale du Nigeria, les tronçons les mieux entretenus se trouvent au Niger. Ils représentent le tiers de la distance. La route Niamey-Dosso, bitumée et disposant d’une signalisation horizontale correcte, grâce à un financement de l’Union européenne, est longue de 150 kilomètres. Dosso est relié à Birni Nkonni, poste frontalier avec le Nigeria, par une voie moins agréable, mais nettement moins dangereuse que les routes nigérianes.

Birni Nkonni, comme beaucoup de villes frontalières, déborde d’activité : un vrai supermarché à ciel ouvert. D’abord, le carburant coûte moins cher. 300 F CFA le litre de gasoil contre 400 F CFA ailleurs au Niger. Nous sommes déjà en pays haoussa, mais l’influence islamiste qui fait la réputation de la région, n’est pas encore trop pesante. Les femmes vaquent à leurs occupations tête et bras nus, les boissons alcoolisées sont autorisées. « Au-delà de la frontière, je ne garantis rien », prévient une barmaid de Birni Nkonni.
Les formalités sont rapides. Le douanier nigérien est même prévenant : « Quand vous changerez de l’argent, demandez surtout des billets de 20 nairas [la monnaie nigériane, NDLR]. Vous en aurez certainement besoin. » Les cambistes « indépendants » sont tolérés, au point de proposer leurs services dès la sortie du poste nigérien. De l’autre côté, les formalités sont plus longues. Il y a d’abord un poste de la police de l’air et des frontières, puis un service de santé, les douanes et, enfin, la brigade antinarcotiques. À chaque étape, il faut montrer patte blanche, et certainement pas à coup de billets de 20 nairas. Ici, les fonctionnaires ont soif. En pays haoussa, charia oblige, pas question de « pots de vin », you have to pay water (il faut payer l’eau). Les « formalités » accomplies, reste à parcourir les 80 kilomètres jusqu’à la première grande ville nigériane du Nord, Sokoto. Tous les deux kilomètres – sans aucune exagération -, une voiture de police et deux agents se dressent sur la route. Les automobilistes ralentissent, passent le bras par la portière et tendent un billet de 20 nairas. Résister reviendrait à s’exposer à de multiples et énervantes tracasseries. On peut même vous accuser, à tort, de ne pas avoir bouclé votre ceinture de sécurité. Ce dispositif est curieusement appelé Operation Fire for Fire. La présence policière est censée sécuriser la route, menacée de deux fléaux : les bandits de grand chemin et les groupes terroristes agissant dans la région, les fameux « talibans ». Comme moyen de lutte contre la criminalité et le terrorisme, on a vu mieux.

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Sokoto, capitale de l’État éponyme. En ce vendredi, jour de prière, le centre de gravité de cette ville de 2 millions d’âmes se déplace vers l’est, où se trouve le palais du sultan, la plus grande autorité religieuse locale. Les commerces ne ferment pas au moment de la prière, mais il se trouve toujours des gens pour vous réprimander en vous indiquant le chemin de la mosquée la plus proche. Agriculture, industrie (égrenage de coton) et trafic de carburant constituent les principales activités urbaines.

Les 200 kilomètres qui permettent de rallier Gusau, capitale de l’État du Zamfara, sont une succession infinie de nids-de-poule. Des jeunes, équipés de pelles, tentent de combler les trous avec du sable contre rémunération de la part des automobilistes. Le business n’est pas rentable, mais c’est mieux que rien. Le relief est de type sahélo-soudanien, agrémenté de quelques hauteurs constituées d’immenses blocs de granit. À Gusau, on voit très peu de femmes dans les rues et pas le moindre policier. Le voyageur a tout intérêt à savoir où il va. C’est d’ailleurs valable dans toute la partie nord du Nigeria. Sur 800 kilomètres, pas un seul panneau indicateur, pas même une modeste borne kilométrique. Tout renseignement, même faux, se négocie en nairas. La région présente une autre caractéristique, unique en son genre : le nombre incalculable de stations-service qui fonctionnent déjà ou en projet. Modernes, équipées avec des pompes électroniques de dernière génération, elles sont en général fermées ou, dans le cas contraire, n’ont pas de carburant à vendre. Pourquoi ? Pour cause de pénurie, mal endémique du Nigeria. Le pays est le premier producteur de brut du continent, mais les produits légers sont importés, faute de raffineries en nombre suffisant et en état de marche. Par ailleurs, les stations préfèrent revendre leur essence au Niger, voire plus loin, au Bénin, car ces pays sont demandeurs, et la marge bénéficiaire est nettement plus importante. Le gouvernement fédéral tente de lutter contre ce trafic, sans grand succès.

Du Katsina, ancien royaume islamique, seule la ville de Funtua se trouve sur l’axe Niamey-Abuja. Située au bord d’un lac, c’est une ville agréable, plutôt verte. Ici, les enseignes sont en anglais et en arabe. Particularité : Islamic est traduit par Salafi, c’est dire la sympathie que l’on éprouve pour Oussama Ben Laden ou Abou Moussab al-Zarqaoui… Le sentiment antiaméricain est perceptible et, quand les gens ont affaire à un Blanc, ils cherchent immédiatement à connaître sa nationalité. Un conseil : ne demandez pas à utiliser la carte de crédit American Express, la réaction de votre interlocuteur peut aller de l’écart de langage à l’agression physique.

À l’entrée de Zaria trône le premier panneau publicitaire pour une marque de bière – et peut-être le seul – de tout le Haoussaland. La vieille cité guerrière est devenue un pôle universitaire important avec le campus Ahmed-Bello, qui accueille chaque année dix mille étudiants, et son collège d’aviation civile. À la sortie de la ville : un énorme échangeur autoroutier, signe évident de modernité et de développement. Plus au sud, voici enfin Kaduna, capitale de l’État du même nom, dernière étape avant Abuja. La ville porte encore les stigmates du conflit interreligieux qui a opposé musulmans et chrétiens, en décembre 2003. Bâtiments saccagés ou incendiés, murs criblés de balles, édifices religieux solidement gardés. L’ambiance est un peu lourde.

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Le dernier tronçon de route, en meilleur état, se parcourt sans problème. Toutefois, il est important de calculer son coup pour arriver à Abuja avant la nuit. Dès que le soleil se couche, le Nigeria, dans son ensemble, présente quatre dangers principaux : les policiers racketteurs, les coupeurs de routes fort bien armés, les fondamentalistes religieux et… les chauffards.

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