Mauvais remake à N’Djamena

Comme il y a deux ans, le cinéaste Mahamat-Saleh Haroun, Prix spécial 2006 à la Mostra de Venise, a été surpris en plein tournage par des attaques rebelles contre la capitale. Récit.

Publié le 24 février 2008 Lecture : 2 minutes.

Les scénaristes le savent mieux que quiconque : la réalité dépasse parfois la fiction. Le réalisateur tchadien Mahamat-Saleh Haroun en a fait l’amère expérience. En avril 2006, alors qu’il tourne, en plein cur de N’Djamena, le film Daratt, prix spécial du jury à la Mostra de Venise en 2006, les rebelles du Front uni pour le changement (FUC), emmené par Mahamat Nour, lancent un raid express et meurtrier contre la capitale. La tentative de coup d’État échoue mais manque de mettre un terme au projet que le cinéaste porte depuis de nombreuses années. Jeudi 31 janvier 2008 : Haroun tourne de nouveau à N’Djamena. Grâce à un rythme de travail soutenu, le départ programmé pour Mao, ville située à plus de 200 km au nord de N’Djamena en plein désert, est avancé au vendredi 1er février. Une chance, puisque l’équipe échappera, d’un jour seulement, à une nouvelle attaque de la capitale.
« Dans les environs de Mao, nous avons tourné une scène où des candidats à l’émigration se retrouvent perdus au milieu du désert, explique Haroun. Lorsque nous avons appris le samedi que N’Djamena était quasiment tombé, nous nous sommes retrouvés dans la même situation que celle que nous venions de filmer : paralysés, mortifiés, bloqués dans le désert à attendre des nouvelles qui ne venaient pas. » Une insoutenable attente qui fait tragiquement écho au titre du film : Expectations (« expectative », en français). « Avec la coupure des réseaux de communication, les Tchadiens de l’équipe n’avaient plus aucune nouvelle de leurs familles. Et les techniciens français ne pouvaient pas entrer en contact avec leurs proches. Nous sommes restés là plusieurs jours, hagards, l’oreille collée aux transistors, à ne plus du tout savoir quoi faire », résume le réalisateur.

Comme un air de déjà-vu
Le mardi 5 février, à court d’énergie et de provisions, Haroun et son équipe décident de rentrer. À 30 km de N’Djamena, ils tombent sur un groupe de rebelles épuisés, morts de faim, avachis dans un pick-up. Ces derniers leur conseillent d’emprunter une route qu’ils ont ouverte pour éviter la voie principale, encore exposée aux balles perdues. La capitale est un champ de bataille : ruines, voitures calcinées, cadavres jonchant les rues. Les techniciens français sont déposés à l’école Montaigne, où les troupes de leur pays ont pris position. Le cinéaste part, quant à lui, retrouver ses proches enfuis au Cameroun voisin. Comme un air de déjà-vu. « En 1981, se souvient-il, alors que j’étais blessé, j’ai dû traverser le fleuve Chari pour rejoindre Kousséri. »
Et le film ? Une partie des séquences tournées avant le départ pour Mao est restée bloquée dans la maison où résidait l’équipe. À Farcha, plus précisément, un quartier dangereux et difficile d’accès du nord de N’Djamena. « C’est mon régisseur Bichara qui s’est faufilé au plus vite jusqu’à Farcha pour récupérer les rushes au péril de sa vie, explique le cinéaste. Quant à moi, en rejoignant ma famille, j’ai vu ma sur, qui avait 2 ans lorsque nous nous étions réfugiés une première fois à Kousséri. Sa fille se retrouve aujourd’hui exactement dans la même situation : c’est le drame de la répétition qui étreint le Tchad. Dans ce cycle sans fin de la tragédie, on se demande s’il est bien raisonnable de continuer à faire des films ici. Et puis on se dit que oui : tourner est aussi un acte de résistance. »

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