Un juge contre la raison d’État
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Pourquoi la brigade criminelle de Paris a-t-elle été dessaisie de l’enquête sur la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, en avril 2004, à Abidjan ? Le 26 novembre, quelques jours avant de repartir en Côte d’Ivoire, le juge d’instruction français Patrick Ramaël a appris que les policiers qui travaillaient à ses côtés depuis plus de trois ans cessaient toute collaboration avec lui. « En vingt-deux ans de carrière, je n’avais jamais vu ça », maugrée un officier de police judiciaire. Pour lui, aucun doute : les raisons sont politiques.
Première hypothèse : Paris a voulu freiner l’action du juge afin de normaliser ses relations avec Abidjan. Le 23 août, Nicolas Sarkozy a reçu la famille Kieffer à l’Élysée, en présence de Jean-David Levitte, son conseiller diplomatique. Il a promis qu’il n’y aurait « pas de normalisation avec la Côte d’Ivoire tant que ce dossier ne sera pas réglé ». Mais depuis, les choses ont bougé. Sarkozy et Laurent Gbagbo se sont rencontrés à deux reprises. Et, dans l’ombre, deux hommes sont à la manuvre : Claude Guéant, le secrétaire général de l’Élysée, et Me Robert Bourgi, un conseiller à la présidence ivoirienne. Le 27 septembre, l’avocat a reçu la Légion d’honneur des mains de Sarkozy. Sur proposition de Guéant.
Seconde hypothèse : Paris a voulu « punir » le juge d’avoir failli dérégler la belle mécanique franco-marocaine afin de faire avancer une autre enquête, celle sur l’enlèvement de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka, en 1965. Le 22 octobre, au moment où il atterrit à Marrakech pour sa première visite d’État, Sarkozy apprend que le juge parisien vient de délivrer cinq mandats d’arrêt contre des dignitaires marocains. Il pique une colère noire et demande des explications à sa garde des Sceaux, qui l’accompagne. Après enquête, Rachida Dati découvre que le parquet était au courant depuis le 18 octobre mais avait omis de prévenir son cabinet. L’affront est double, il faut le laver.
Qui a donné l’ordre de lâcher ce juge trop pugnace ? Il va de soi que Christian Flaesch, le patron de la police judiciaire de Paris, n’a pas pris la décision tout seul. « Guéant a été directeur de la police nationale. Avec lui, un coup de fil peut suffire », estime un ancien fonctionnaire de l’Intérieur. Reste que, face au tollé, Dati a dû se résoudre à défendre Ramaël. « Les autorités judiciaires sont à ses côtés », a-t-elle lâché, le 18 décembre. Quant au juge, faute de policiers, il a fait appel à des gendarmes. Et son dernier voyage à Abidjan a été fructueux. Il a pu auditionner deux membres présumés du commando qui a enlevé Kieffer. Ils sont aujourd’hui affectés à l’état-major particulier de Gbagbo. Commentaire de Bernard Kieffer, l’un des frères du disparu : « Toutes les pistes conduisent à l’entourage du président. »
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