Washington contre le reste du monde
Au terme d’une âpre bataille diplomatique, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle a été adoptée, le 20 octobre, sous un tonnerre d’applaudissements. Réunis au siège parisien de l’Unesco, 148 pays ont voté un texte qui affranchit toute forme d’expression culturelle des règles de libre concurrence régissant le commerce international. Et qui permettra aux États signataires de recourir aux politiques de leur choix pour protéger et promouvoir leur industrie culturelle.
Une victoire diplomatique pour la France, instigatrice du projet, qui est parvenue à fédérer la quasi-totalité des pays de la planète autour de la notion d’exception culturelle, malgré l’opposition farouche de Washington. « Les États-Unis ont sorti l’artillerie lourde et tenté jusqu’au bout de faire échouer ce projet. Mais à force de persuasion et de détermination, nous sommes parvenus à créer un consensus autour de ce texte, qui répond à une inquiétude globale sur les méfaits de la mondialisation et la peur de l’hégémonie culturelle américaine », explique un diplomate français.
Seul Israël a suivi Washington, alors que l’Australie, le Nicaragua, le Honduras et le Liberia ont choisi de s’abstenir. Même le Japon, longtemps réticent, a fini par se rallier à la cause générale. Non sans tenter, jusqu’à la dernière minute, d’entraîner dans son sillage l’allié américain. En vain. Les États-Unis se sont retrouvés isolés, et leur grande offensive n’a fait que donner une résonance politique à cette convention
technique.
L’idée, inspirée par la signature, en 2001, à l’Unesco, d’une déclaration sur la diversité culturelle, avait été lancée par le président Jacques Chirac lors du Sommet mondial sur le développement durable, en 2002, à Johannesburg. Puis confiée l’année suivante, sous l’impulsion de la France et du Canada, à l’Unesco.
« Le soutien sans faille des États africains francophones, et particulièrement du Sénégal
et du Bénin, a joué un rôle capital », a indiqué Jean Guéguinou, délégué permanent de l’Hexagone. Les membres des délégations subsahariennes ne cachaient d’ailleurs pas leur joie à l’issue d’un vote perçu par beaucoup comme « une victoire contre l’impérialisme
américain » et « un instrument de sauvegarde des cultures du monde ». Autre clé
diplomatique de ce succès : la position commune adoptée dès 2004 par les vingt-cinq
membres de l’Union européenne, qui sont parvenus à parler d’une seule voix lors de la deuxième phase des négociations. Une première dans l’histoire de l’institution.
Pour entrer en vigueur, la convention devra être ratifiée, au minimum, par trente États signataires. Ce qui devrait être rapidement acquis. Même si certains adeptes traditionnels
du libre-échange avouent, en coulisses, partager le point de vue de Washington et dénoncent un texte « protectionniste ». Dans les couloirs de l’hémicycle parisien, beaucoup redoutent de nouvelles pressions américaines au niveau bilatéral pour bloquer le processus de ratification. Et diminuer la portée de l’accord. Les États-Unis, qui ont effectué leur retour à l’Unesco en 2003 après dix-neuf ans d’absence, ne semblent pas près de baisser les bras. À cela, une raison évidente : l’exportation de la
culture américaine, en particulier cinématographique, rapporte plus de 80 milliards de dollars par an à la première puissance mondiale. « Le combat ne fait donc que commencer », résume Cheikh Ngaïdo Bâ, réalisateur sénégalais à la tête du réseau africain des conseils nationaux pour la diversité culturelle.
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