« Tout ce que j’écris est vrai »

Le romancier algérien raconte le désespoir de son pays. Il a choisi, dans « Harraga », de donner la parole aux femmes. Entretien.

Publié le 23 octobre 2005 Lecture : 14 minutes.

Harraga, le quatrième roman de Boualem Sansal, né en 1949, ne ressemble pas aux précédents. Cette fois-ci, le lecteur ne risque pas d’être dérouté par des histoires qui se perdent, se retrouvent, s’enchevêtrent dans les temps et les lieux. Autre originalité : c’est une histoire de femmes. De deux femmes.
Lamia, pédiatre, vit seule dans une villa sur les hauteurs d’Alger. Elle désespère de retrouver son « idiot de frère » qui a « brûlé les routes » pour tenter sa chance en Europe. Elle voit débouler dans sa vie organisée, réglée, Chérifa, une Lolita sans gêne et sans scrupule, littéralement insupportable. Pas question de se débarrasser de l’intruse : elle est recommandée par le frère disparu, elle est enceinte. Et puis, entre la pédiatre solitaire et la gosse paumée se noue une relation intense et indéfectible qui ressemble fort à l’amour.
À travers cette intrigue épurée à souhait, l’héroïne du roman reste l’Algérie. L’Algérie de tous les jours en proie à la malédiction islamiste, à l’indifférence des puissants, à la mal-vie, mais aussi l’Algérie d’hier, dans ses différentes strates que l’idéologie et le politiquement correct ont tendance à gommer. Les descriptions de reporter comme les digressions savantes sont sans concession : féroces, mais toujours inspirées par une immense tendresse et un humour à la fois ravageur et salvateur. Boualem Sansal est sans doute convaincu qu’on ne peut comprendre ce qui se passe dans son pays sans l’éclairer par l’Histoire. « Quel siècle fait-il dehors ? »

Jeune Afrique/l’intelligent : Jusqu’à présent, les femmes tenaient très peu de place dans vos romans. Subitement, elles bondissent au premier plan. Il y a trois personnages principaux dans Harraga, deux femmes – et une maison. Pourquoi ?
Boualem Sansal : Dans nos pays, il y a le monde des hommes et celui des femmes, qui sont différents. On ne se rencontre qu’au lit et au cimetière. Une histoire qui relierait des hommes et des femmes serait artificielle. Or on m’a souvent reproché, en Europe, à propos de mes ouvrages précédents, l’absence de femmes. J’ai voulu donc écrire un roman de femmes.
Encore fallait-il pénétrer leur univers. Les Français connaissent les Françaises, ils vivent ensemble, ils travaillent ensemble, ils ont de multiples échanges. Chez nous, rien de tel. Autant dire que ce fut une épreuve pour moi de me mettre dans la peau de Lamia, de lui passer ma plume.
J.A.I. : Lamia existe-t-elle ? Vous écrivez en tête de l’ouvrage que l’histoire « est véridique, les noms, les dates, les lieux », mais vous ajoutez, quelques lignes plus loin, que « les gens du livre ne savent jamais distinguer le réel de l’imaginaire ». Alors, qu’en est-il ?
B.S. : Lamia et Chérifa existent. Soeur Anne existe. Le couvent existe. L’histoire s’est déroulée comme je la décris. Je connais l’homme qui a engrossé Chérifa… Je ne peux écrire que sur la réalité. Je n’ai pas d’imagination. En ce sens, tout ce que j’écris est vrai.
J.A.I. : L’histoire est vraie jusqu’à un certain point…
B.S. : Je la situe au début des années 2000, alors qu’elle s’est déroulée vingt ans auparavant. C’était à Boumerdès, qui était alors un campus universitaire : quelques instituts, des étudiants, des professeurs et le personnel administratif à l’intérieur d’une enceinte. J’habitais là. Un soir d’hiver, pendant un long congé, le campus était désert. Ma femme, tchèque, était à l’étranger ; j’étais seul à la maison. Le gardien frappe à ma porte : « Si Boualem, il y a une jeune fille qui vous demande. » Je descends, et je trouve une gamine drôlement attifée, enceinte me semble-t-il. Elle me jette un regard, fait la moue et dit au gardien : « Ce n’est pas lui que je cherche. » Et elle s’en va.
Je remonte à mon appartement du deuxième étage. Quelques minutes après, j’aperçois la gamine de mon balcon, abritée dans l’entrée de l’immeuble en face. Il faisait froid, il pleuvait. Je redescends, je lui demande : « Tu n’as pas où aller ? – Non. » Je la fais entrer, elle s’installe en trombe, comme dans le roman. Je lui demande comment s’appelle l’homme qu’elle cherche, elle ne sait pas. Comment il est… « Comme toi, il a une trentaine d’années, les cheveux noirs et une voiture bleue. » C’était mon cas, et c’est ainsi qu’elle l’avait décrit au gardien, qui avait pensé me reconnaître dans ce portrait esquissé.
Le lendemain matin, je lui donne 100 dinars et je lui dis : « Va chercher ton gars. » Le soir, elle revient ; le jour suivant, rebelote. Que faire ? La fin des vacances approche, ma femme va revenir et je me vois avec une histoire sur les bras. Je raconte l’affaire à un copain, qui me dit : « Écoute, cela pourrait bien être Untel, il te ressemble et il a une voiture bleue. » Je vais voir Untel, je lui raconte. « Oh là là, s’écrie-t-il, tu ne me connais pas. Ne lui dis rien ! »
Que faire pour me débarrasser de l’enquiquineuse ? Je commence à devenir fou. C’est alors que je pense à Lamia. Dans le roman, Lamia est pédiatre, dans la réalité, prof de géophysique. J’amène la fille chez Lamia, qui est telle que je la décris : 35 ans, mauvaise expérience amoureuse, repliée sur elle-même, revêche. Mais Lamia a sa vie, ses habitudes de vieille fille. « Enfin, me dit-elle, je veux bien, mais pour une nuit ou deux. » Et puis voilà… L’amour.
J.A.I. : L’amour ?
B.S. : Une histoire d’amour assez fantastique avec Chérifa, cette fille complètement volage…
J.A.I. : Lamia écrit.
B.S. : Oui. Elle vit seule, elle s’ennuie. Alors elle parle aux murs, elle s’invente des histoires, elle flotte entre rêve et réalité. Donc elle écrit des poèmes, elle prend des notes…
J.A.I. : Pour cette recluse, la maison est importante… Est-elle réelle aussi ?
B.S. : Oui, c’est la villa Aziza, qui a été aménagée et occupée par l’architecte Fernand Pouillon. Elle a été construite par un officier ottoman. Je me suis inspiré de sa structure labyrinthique.
J.A.I. : Dans la maison du roman, on retrouve les strates de l’Algérie coloniale, puisque, après les Turcs, elle a été occupée par un aristocrate français converti à l’islam, par un commerçant juif, un immigré des Carpates… finalement un certain Dr Montaldo, le médecin des pauvres, tous, au fond, plutôt sympathiques… N’apportez-vous pas de l’eau au moulin des Algériens qui vous reprochent d’afficher une nostalgie de l’époque coloniale ?
B.S. : Nous sommes les héritiers du passé, en bien et en mal. Les gens déplacent ce qui est analyse sociologique ou description de la réalité quotidienne vers l’univers politique. On ne peut plus dire du bien d’un pied-noir sans être taxé de nostalgie de la botte coloniale. Le Dr Montaldo était bien connu et apprécié. C’était notre médecin de famille.
J.A.I. : N’y a-t-il pas un peu de provocation de votre part quand vous situez la maison dont nous parlons en haut de la « rampe Valée », du nom de l’un des conquérants français et des premiers gouverneurs de l’Algérie après 1830, alors que cette voie s’appelle Louni-Arezki depuis des lustres ?
B.S. : On continue à dire « la rampe Valée ». Enfin, chacun est libre de lire ce qu’il veut dans mes livres, comme cette vieille dame qui m’a interpellé sur un ton véhément à la fin d’une conférence que j’avais faite à Bordeaux après la sortie du Serment des barbares. Elle avait relevé des expressions du genre « il n’y a pas de quoi fouetter un chat » et elle voulait savoir ce que j’avais contre les chats.
J.A.I. : En France, une loi prescrit d’enseigner les aspects positifs de la colonisation. Ce à quoi Bouteflika rétorque en sommant les Français de demander pardon. Qu’en pensez-vous ?
B.S. : Vous ne me ferez pas dire que tout fut blanc ou noir. Mais enfin, il faut regarder la réalité historique en face. Avant la colonisation, cette région du monde était occupée par des tribus qui se faisaient la guerre sans arrêt. L’émir Abdelkader lui-même n’a réussi à fédérer que quelques tribus de la région de Mascara ; il a été reçu à coups de fusil en Kabylie et aux environs de Bou-Saada. La conscience nationale algérienne est née beaucoup plus tard, probablement avec la Première Guerre mondiale. Elle est le résultat du nationalisme arabe, né en Égypte et qui s’est répandu au Maghreb.
J.A.I. : Quand Bouteflika demande la repentance de la France, exprime-t-il une revendication nationale ?
B.S. : Les Algériens se rendent bien compte qu’il s’agit de politique politicienne. Bouteflika veut faire passer la réconciliation avec les islamistes. Pour amener les Algériens à se réconcilier entre eux, il a besoin de donner l’exemple d’une réconciliation franco-algérienne, malgré les exactions coloniales, malgré les massacres et les tortures, à condition seulement que la France demande pardon.
J.A.I. : Que reste-t-il de l’islamisme ?
B.S. : Il revient en force. À Boumerdès, il y avait une mosquée et il y en a dix aujourd’hui ; le vendredi, elles débordent dans la rue. Mais, en même temps, des femmes sortent en jeans. On peut dire que les islamistes réoccupent la rue, mais ils ne font plus peur.
L’islamisme reste fort. C’est inquiétant, mais ce n’est pas étonnant. Parce que ce qui nous a menés à la guerre civile – l’économie en panne, la dictature, la déliquescence de l’enseignement, le traficotage – tout est encore là, agissant.
J.A.I. : Les harragas sont ceux qui brûlent la route et qui partent. Y a-t-il beaucoup de harragas ?
B.S. : Le chiffre officiel ne porte que sur les cadres : quatre cent mille sont partis en dix ans, médecins, ingénieurs, chercheurs, cinéastes, qui ont fui vers la France, le Canada, l’Angleterre… Dont un nombre important d’islamistes : informaticiens, spécialistes du génie nucléaire, etc. Tout le monde veut partir, et, le plus souvent, pas pour des raisons politiques, mais on vit trop mal en Algérie, on est confronté tous les jours à des problèmes d’eau, d’emploi, de logement, de sécurité. Un jeune de 25 ans n’a aucune chance de trouver un logement. Sur le marché locatif, on lui demandera un loyer égal à dix fois son salaire. Construire est impossible. On vit chez les parents, on s’entasse dans une promiscuité indéfinissable.
J.A.I. : Le chauffeur fantaisiste au grand coeur qui n’hésite pas à changer d’itinéraire pour rendre service. Il existe vraiment ?
B.S. : Je vous ai raconté comment j’ai connu Chérifa. Quand elle était chez moi, disparaissant le matin pour revenir le soir… un beau jour, elle est revenue en autocar. Le chauffeur l’avait prise en pitié et avait fait un crochet de dix kilomètres pour l’amener à Boumerdès. Il était entré dans le campus je ne sais comment. J’ai entendu un coup d’avertisseur sous ma fenêtre et j’ai vu Chérifa qui descendait de son car. Un autre personnage existe bel et bien, c’est le commandant de bord d’Air Algérie qui avait emballé Chérifa. C’est un copain.
J.A.I. : Comment avez-vous perdu votre emploi au ministère de l’Industrie ?
B.S. : Cela s’est passé à l’algérienne, en 2003, après la publication de Dis-moi le paradis. C’est une interview qui a mis le feu aux poudres. Une interview comme j’en avais donné beaucoup d’autres, ni plus ni moins critique à l’égard du pouvoir que celle que j’avais donnée, par exemple, au cinéaste Ali Ghanem, publiée par Le Quotidien d’Oran après la sortie du Serment des barbares, en 1999, sans vraiment faire de vagues.
À ce moment-là, j’avais un ministre islamiste, Abdelmadjid Menasra : 30 ans, ingénieur de formation, mais il n’avait pas travaillé. Il avait été vice-président du Conseil national de transition créé sous Liamine Zéroual, puis, quand le pouvoir avait été un peu plus loin dans le partage avec les islamistes, il leur avait donné sept ministères, dont celui de l’Industrie…
J.A.I. : Vous étiez le numéro deux du ministère ?
B.S. : Numéro trois après le secrétaire général. Numéro deux technique, si vous voulez.
Menasra a été parfait. Il a réuni les cadres du ministère, il nous a dit : « Je ne connais pas les dossiers, je vous fais confiance. » Nous étions gênés parce qu’il nous parlait un arabe très châtié, mais il nous a mis à l’aise, nous invitant à parler français. Nous avons fonctionné comme cela pendant cinq ans, sans problème.
Juin 2002, remaniement ministériel. C’est un autre islamiste, el-Hachemi Djaaboub, qui est nommé, mais changement complet : il ne m’a jamais reçu. Je ne l’ai vu qu’à la télévision. J’avais huit directeurs sous mes ordres, il les a tous reçus, puis les sous-directeurs, qui sont une trentaine. Mais moi, le directeur général, jamais. À chacun de mes collaborateurs il donna instruction de lui transmettre directement les dossiers. Ils étaient très gênés. Je leur ai dit qu’ils n’avaient qu’à obéir à leur ministre, ce qui fait que pendant une année…
J.A.I. : Vous avez écrit…
B.S. : Non. Question de principe. Je n’ai jamais voulu mélanger. Je suis allé à mon bureau tous les jours, arrivé à l’heure, parti à l’heure. Quand certains collaborateurs venaient me consulter, je leur donnais mon avis, mais à titre informel.
J.A.I. : D’où venait Djaaboub ?
B.S. : Il avait été directeur de l’hôpital de Blida. Cela lui avait valu des ennuis avec la justice. Pour y échapper, il avait adhéré au Hamas – il était un peu parent avec le fondateur du mouvement, Mahfoud Nahnah -, grâce à quoi, au lieu d’aller en prison, il est devenu ministre.
Donc, en 2003, je donne cette interview dont j’ai parlé. Quelques jours plus tard, le chef de cabinet m’appelle pour me prévenir qu’il vient me voir. Cinq minutes après, il arrive accompagné de quelques fonctionnaires du ministère et d’un inconnu. « Voici, me dit-il, nous venons installer ce monsieur à ta place. » Ainsi fut fait sans plus de formalités. J’ai salué tout le monde et je suis parti. Deux ans après, il paraît que ma situation va être régularisée, mais pendant tout ce temps je n’ai pas obtenu un papier ni, cela va sans dire, touché un dinar.
J.A.I. : Parlons un peu de vous, si vous voulez bien. D’où venez-vous ?
B.S. : Je suis né en 1949 dans la région de Téniet el-Haad, dans l’Ouarsenis, région berbère, montagneuse. Mais nous y avons peu vécu. Mon père est mort, et nous sommes partis vivre à Tiaret chez mes grands-parents, puis à Oran et, finalement, à Alger.
J.A.I. : Vous avez été élevé par vos grands-parents…
B.S. : Oui. Mon grand-père, Aïssa Belalouche, était cheminot, chef de gare à Tiaret. Il a fait la Première Guerre mondiale et il a été champion de gymnastique militaire, très pétainiste… Cultivé et pédagogue, mordu de géographie, sévère. Il nous faisait apprendre tout par coeur. À l’heure de la sieste, il nous rassemblait avec nos cousins : « Quel est le chef-lieu de l’Ain ? La longueur de la Seine ? Le numéro de la Gironde ? Le 45, quel département ? » Nous devions réciter des fables de La Fontaine. Il pleuvait des coups de bâton. Il nous obligeait à lire des livres pour enfants, Jules Verne… J’étais passionné de lecture. Je lisais aussi des livres qui n’étaient pas pour moi, que je ne comprenais pas, mais j’y prenais plaisir. Quand nous sommes arrivés à Alger, il ne restait qu’une place en sixième au lycée, en section classique. J’ai donc étudié le latin et le grec.
J.A.I. : Comment êtes-vous venu au roman ?
B.S. : Grâce à Rachid Mimouni, mon ami, mon collègue de travail et mon voisin à Boumerdès, décédé il y a maintenant dix ans. Nous parlions toujours de littérature, et Mimouni essayait de me convaincre d’écrire à mon tour. En vain. Et puis il est mort. En ce temps-là, l’islamisme était aux portes du pouvoir. On ne sortait plus, on vivait comme des rats. Je quittais le ministère à 15 heures, à 16 heures j’étais chez moi, à 17 heures il n’y avait plus personne dans les rues. Que faire à la maison ? J’avais lu vingt fois tous mes bouquins, on n’en trouvait pas de nouveaux, la télé me fatigue. Je me suis mis à écrire…
J.A.I. : Comme Lamia…
B.S. : Comme Lamia. Initialement, ce que je voulais raconter était l’histoire d’un commissaire de police à Ménerville [Thénia], à quelques kilomètres de Boumerdès, assassiné par les islamistes.
J.A.I. : Quel écrivain vous a marqué le plus ?
B.S. : Cervantès. Don Quichotte est mon livre fétiche. C’est un conte oriental, une très belle histoire merveilleusement racontée, le roman parfait. Je ne me lasse pas de le relire.
J.A.I. : Le Serment des barbares a été un succès de librairie. Combien d’exemplaires ont été vendus ?
B.S. : 55 000 avec le Poche.
J.A.I. : Et en traductions ?
B.S. : Ce que je peux dire est que mes romans ont plus de succès en Allemagne qu’en France. En français et en allemand. J’ai été invité jusque dans des petites villes allemandes. Je n’ai pas compris pourquoi.
J.A.I. : On parle d’un film…
B.S. : Un film de deux fois quatre-vingt-dix minutes pour la télévision, qui sera réalisé par Yves Boisset.
J.A.I. : Comment démarre Harraga ?
B.S. : Trois réimpressions pendant la première semaine.
J.A.I. : Avez-vous une idée du cinquième roman ?
B.S. : Cela pourrait être une très belle histoire. Une histoire vraie, encore… Au début des années 1970, je faisais mon service militaire dans le Sud, dans une région de chasseurs. Je me baladais quand je pouvais, crapahutant en Jeep dans la montagne avec un fusil de chasse. Un jour, je tombe sur un village loin de toute route, isolé, complètement atypique. Rien à voir avec nos villages poussiéreux, en terre battue, avec des maisons branlantes… Celui-là est mignon, propret, soigné… un conte de fées. Je prends un café, les gens ont un air, comment dire, différent. Et je m’en vais perplexe.
Le soir, j’en parle à un ami, secrétaire général de la daïra [sous-préfecture]. « Ah ! dit-il, c’est le village de l’Allemand. » Il s’agit d’un colonel SS qui a occupé un poste important dans un camp d’extermination. En 1945, il a pris la fuite, il s’est réfugié en Autriche, puis en Turquie ou ailleurs. Vers 1962 ou 1963, il a été repéré par des chasseurs de nazis. Il est passé en Libye, comme d’autres, et de là, ce qui est plus singulier, en Algérie, qui venait d’accéder à l’indépendance. Je ne sais comment il a abouti dans ce village, où, très vite, avec son sens de l’organisation d’officier allemand, il a aidé les gens, il a mis de l’ordre. Il est devenu le chef du village.
J.A.I. : Ce sera votre prochain roman ?
B.S. : N’allez pas trop vite, mais j’y pense. Il faut trouver l’angle.

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