Qui juge qui ?
« Je suis le président. Qui êtes-vous ? » Invité à décliner son identité à l’ouverture de son procès, le 19 octobre, Saddam Hussein pose la question clé : celle de la légitimité de ses juges.
L’affaire est entendue : Saddam « mérite la corde vingt fois » (Jalal Talabani dixit). Ses crimes sont innombrables, innommables, impardonnables. Mais il n’est pas certain que son procès soit une oeuvre de justice, encore moins « l’acte fondateur » de l’État de droit que les Américains disent vouloir instaurer en Irak.
Certes, il s’agit ici de la justice des vainqueurs, qui n’a qu’un lointain rapport avec la justice. Forts de leur victoire, les Américains se doivent d’effacer l’ancien Irak à la fois symboliquement et stratégiquement. Et comment le faire sinon en organisant le procès de celui qui l’incarne ? Soit. Mais même sur ce terrain-là, celui de l’efficacité, ils s’y prennent mal.
Comme d’habitude, ils ont tout préparé. Les juges préposés au procès ont été sélectionnés – ils sont tous kurdes ou chiites – et ils ont reçu une formation accélérée. Parmi les « crimes contre l’humanité », on a retenu l’affaire de Doujaïl, un village chiite dont les habitants ont été massacrés en 1982, après un attentat manqué contre Saddam.
Plusieurs avantages expliquent ce choix : les preuves de la responsabilité de l’ancien raïs sont disponibles. Les autres tueries, comme celle de Halabja, pendant la guerre contre l’Iran, remontent à une époque où le dictateur irakien était un précieux allié de l’Occident. Seulement voilà, les Kurdes ne veulent pas que leurs propres souffrances soient escamotées et demandent « leur » procès à eux. Plus préoccupant encore : les témoins (à charge, bien sûr) ne se sont pas présentés le 19 octobre. Craignent-ils des représailles ? Sans doute. Et comment peut- il en être autrement quand cinq magistrats se cachent, à l’exception d’un seul, Mohamed Amine Rikzar, qui s’est « sacrifié » en apparaissant à la télévision ?
Les Américains butent sur un autre obstacle, qui ne dépend pas de leur volonté. L’administration de la justice des vainqueurs implique tout de même, d’une manière ou d’une autre, le concours résigné du vaincu. Or Saddam ne joue pas le jeu. Amaigri, affaibli, il a soigné son entrée. Un Coran à la main, combatif, « présidentiel en diable », comme l’écrit Patrice Claude, qui suit le procès pour Le Monde, il suscite attention et admiration. Si les Américains voulaient, à travers le jugement de Saddam, casser le moral de la résistance, c’est raté.
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