Quel État palestinien ?

Publié le 23 octobre 2005 Lecture : 5 minutes.

L’actualité de cette fin d’octobre 2005 est riche et variée. Mais, plutôt que d’aborder plusieurs sujets sans les approfondir (faute de place), j’ai choisi d’examiner avec vous l’état actuel du problème palestinien : a-t-il une solution en vue ? Si oui, laquelle ?
Yasser Arafat est mort depuis près d’un an, le 11 novembre 2004 ; son successeur, Mahmoud Abbas, était reçu avant-hier jeudi à Washington par le président George W. Bush ; et le troisième protagoniste de cette « histoire en devenir », Ariel Sharon, Premier ministre d’Israël, a osé – et réussi – l’évacuation de Gaza par les colons… qu’il y avait lui-même installés voilà trente ans.

Le moment me paraît venu de chercher des réponses aux questions que tout le monde se pose :
I – Pourquoi Ariel Sharon s’est-il résolu à évacuer Gaza et pourquoi l’entreprise lui est-elle apparue assez importante pour qu’il accepte de mettre en danger son pouvoir (et de ternir son image aux yeux d’une bonne partie de la droite israélienne) ? A-t-il un plan ? Si oui, quelle en sera la prochaine étape ?
II – Le président Bush et son administration ont-ils une politique différente de celle d’Ariel Sharon ? L’État palestinien dont parle George W. Bush a-t-il une consistance ? Ou bien n’est-ce qu’une « promesse qui n’engage que ceux qui y croient » ?
III – Et sur quoi se fonde l’optimisme affiché par Mahmoud Abbas, homme politique chevronné ?

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Vous avez observé que, s’agissant de la Palestine, je ne m’interroge que sur ce que peuvent faire ou ne pas faire Israël, les États-Unis et les Palestiniens.
Et l’Europe ? Et la Russie ? Et l’ONU ? me direz-vous. Ne forment-elles pas avec les États-Unis ce fameux « quartet » qui a élaboré la célèbre « feuille de route » dont les uns et les autres se prévalent ?
Et la Ligue arabe, dont la Palestine est l’un des vingt-deux membres ?
Les uns et les autres n’ont pas disparu de la scène, bien sûr, et participent autant qu’ils le peuvent à la recherche d’une solution. Mais tous ceux qui connaissent le problème le savent : ces pays ou ensembles de pays, ces deux organisations, l’une mondiale et l’autre régionale, se sont laissé marginaliser et ne sont plus dans cette affaire que des acteurs secondaires, voire négligeables.
On leur demandera d’entériner la solution que les Israéliens et les Américains auront trouvée et réussi à faire accepter par les Palestiniens.
Et de participer, en particulier financièrement, à sa mise en oeuvre.

Avec d’autres dirigeants israéliens, Ariel Sharon rêvait, dans les années 1950, d’un Israël qui s’étendrait des deux côtés du Jourdain. Après 1967, ces sionistes convaincus se sont rassemblés autour du projet d’un « Grand Israël » s’étendant sur tous les territoires entre le Jourdain et la mer Méditerranée, y compris, par conséquent, Gaza. Mais, en dépit de tous leurs efforts, ils ne sont pas parvenus à attirer assez d’émigrés juifs pour le peupler : le « gisement » des Juifs de l’Europe de l’Est a été surexploité dès la chute du communisme, et il s’est tari ; les appels répétés d’Ariel Sharon aux autres membres de la diaspora pour les inciter à émigrer en Israël n’ont pas été entendus*.
Dans le même temps et a contrario, la population palestinienne, elle, enregistrait une forte croissance. Résultat, que les responsables israéliens ont vu arriver avec effroi : en comptant les 1,3 million de Palestiniens de Gaza, les Juifs en sont arrivés à représenter moins de 50 % de la population cumulée d’Israël et des territoires occupés.
Dès lors, l’évacuation de Gaza, envisagée dès les années 1980 et reportée d’année en année, n’était plus une option, mais une « ardente obligation ».
Ajoutez à cela que les deux Intifadas ont appris aux Israéliens une chose importante : les Palestiniens ne sont ni une « poussière d’individus » ni même ce peuple soumis qu’ils pensaient pouvoir réduire. Ces gens savent se battre et mourir pour leur cause, ils sont capables de tuer et de détruire, et n’abandonneront la lutte que lorsque leurs droits seront reconnus.
Et vous aurez l’explication de l’évolution d’Ariel Sharon et, avec lui, de la majorité des Israéliens. Désormais ils professent ceci, qui fonde leur politique, à savoir que puisqu’il n’est plus possible d’édifier un Grand Israël qui soit une démocratie, puisqu’on ne peut plus ignorer que les Palestiniens sont (devenus) un peuple qui a besoin d’un État, il nous faut, avec l’appui des États-Unis :
– réaliser le plus grand Israël possible ;
– et nous résigner à concéder aux Palestiniens des territoires suffisants pour y fonder un État : mais le moins possible de territoires et certainement pas ce qui a été envisagé à Camp David en 2000, ni, a fortiori, à Taba en 2001, ni même encore dans l’initiative de Genève (de Yossi Beilin et Abed Rabbo).

Nous en sommes là ; mais avec un plan Sharon-Bush et l’espoir, qu’ils estiment sérieux, de le faire accepter par Mahmoud Abbas et l’Autorité palestinienne, puis par le quartet et les pays arabes :
– « L’évacuation de Gaza n’est pas la fin d’un processus, ce solde de tout compte que craignent certains, disent les deux auteurs du plan. Mais, au contraire, le début d’une série d’autres retraits… »
Ariel Sharon a souvent annoncé ces retraits, les qualifiant de « concessions douloureuses » sans jamais en préciser l’étendue. Il s’agit, en fait, de rétrocéder aux Palestiniens entre 50 % et 80 % de la Cisjordanie, tout en conservant Jérusalem et les territoires sur lesquels se sont installées les principales colonies israéliennes (250 000 colons).

Attachés aux résolutions de l’ONU qui leur octroient les frontières de 1967 pour leur État et Jérusalem-Est comme capitale de cet État, les Palestiniens n’accepteront jamais de se satisfaire de ce que Bush et Sharon leur proposent. Certes ! Mais l’astuce des auteurs de ce plan est qu’ils ne leur demandent pas de s’en contenter, encore moins de s’engager à renoncer à obtenir plus par la négociation.
Bush et Sharon appellent Abbas et les siens à prendre le contrôle, en plus de Gaza, de plus de la moitié de la Cisjordanie, dont Israël se retirerait définitivement, pour y créer enfin l’État palestinien dont ils rêvent. Mais les frontières de cet État ne seraient pas figées, ni considérées comme définitives. Il sera expressément indiqué dans l’accord, au contraire, qu’elles sont provisoires, susceptibles d’être modifiées par d’ultérieures négociations, conduites d’État à État et sous le parrainage… du quartet, c’est-à-dire, en fait, des États-Unis.

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Sharon et Bush pensent, à tort ou à raison, que leur offre, assortie d’une aide financière importante et laissant ouverte la négociation sur Jérusalem ainsi que sur le droit des réfugiés palestiniens au retour, sera si tentante qu’il se trouvera, parmi les Palestiniens, une équipe de dirigeants pour l’accepter.
Et la défendre auprès de l’opinion publique palestinienne, arabo-musulmane (et mondiale) sur la base de la règle bien connue de beaucoup d’Arabes : prends (ce qu’on te concède) et continue de réclamer ce qu’on ne t’a pas accordé.

* Sur les 13 à 14 millions de Juifs de par le monde, un peu plus de 5 millions résident en Israël ; 20 000 Juifs environ émigrent chaque année pour s’installer en Israël ; un nombre équivalent d’Israéliens émigrent.

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