Première élection multipartite en Côte d’Ivoire

Publié le 23 octobre 2005 Lecture : 3 minutes.

« Le ministère de l’Intérieur a l’honneur de porter à la connaissance des électeurs que MM. Houphouët-Boigny, planteur à Yamoussoukro, et Laurent Gbagbo, professeur à Abidjan, ont été retenus comme candidats pour l’élection du président de la République. » C’est par ce bref communiqué, aussi courtois qu’administratif, que les Ivoiriens apprennent, quelques semaines avant son déroulement, le face-à-face historique qui a lieu le 28 octobre 1990. Ce jour-là, le peuple doit choisir entre deux candidats. Le « Vieux », 85 ans, chef de l’État sortant, leader du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) en lice pour un septième mandat. Et le jeune, 45 ans, l’insolent opposant, qui lui tient tête depuis les années 1970, champion du Front populaire ivoirien, le FPI, première formation politique d’opposition à avoir été officiellement enregistrée en mai 1990, une dizaine d’années après sa création dans la clandestinité.
Si cette élection ne peut encore être qualifiée de « pluraliste » à l’époque, Félix Houphouët-Boigny, le « père de la nation », n’est pourtant plus, cette fois, le seul candidat issu d’un parti unique à se présenter devant les électeurs, contrairement à ce qui s’est régulièrement passé tous les cinq ans depuis 1960. Il s’en est fallu de peu : deux jours avant la fin du délai légal de clôture des candidatures, une loi exigeant le dépôt d’une caution de 20 millions de F CFA (61 000 euros) de la part de chaque candidat est passée. Une somme que le challengeur a pu, heureusement, réunir in extremis.

En Côte d’Ivoire, ce 28 octobre est une grande première : jamais la confrontation politique ne s’est encore placée sur le terrain électoral. Pour l’occasion, les adversaires se connaissent bien. En vingt ans, Laurent Gbagbo a été confronté à de multiples vicissitudes : quinze jours de prison en 1969, l’incorporation forcée dans l’armée l’année suivante pour vingt et un mois, puis l’exil en France pendant six ans, avant son retour au pays en 1988.
À la veille de l’élection présidentielle, le FPI a profité de sa reconnaissance officielle cinq mois plus tôt pour se constituer un réseau national de militants et mettre en place un journal : Le Nouvel Horizon. Il bénéficie aussi du soutien et des conseils du Parti socialiste français. Mais, surtout, il a à sa tête un candidat crédible pour la présidentielle, doté d’un programme qui, s’il ne promet pas de changement de société ou de régime notable, offre une alternative raisonnable à un appareil politique que l’on dit sclérosé, vieillissant et cramponné à des privilèges d’un autre âge.
L’élection du 28 octobre 1990 est soigneusement préparée. En dix jours de campagne, Laurent Gbagbo parcourt, en voiture, quelque 2 000 kilomètres et visite vingt-cinq villes de l’intérieur. Hélas ! ses militants tombent parfois dans l’excès, menaçant de sévices leurs adversaires et détruisant parfois le matériel électoral. Il a, face à lui, la puissante machine du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), créé en 1946 et présent dans tous les rouages de l’État. Le Vieux fait campagne en agitant les vieilles valeurs comme le « don de soi », répété à l’envi sur les affiches et les tee-shirts distribués dans tout le pays. Les étrangers, qui ont le droit de vote depuis l’indépendance, sont aussi courtisés que les nationaux, compte tenu de leur propension à s’exprimer en faveur de celui qui leur octroie, depuis des décennies, travail et rémunération.

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L’annonce des résultats ne surprend personne – Houphouët-Boigny recueille plus de 85 % des voix -, mais l’opposition crie à la fraude et dénonce de nombreuses irrégularités dans les bureaux de vote : absence de listes électorales, nombre de bulletins insuffisants, bourrage des urnes, etc.
Si nul ne doutait de la victoire du président sortant, le véritable enjeu de ce scrutin résidait surtout dans le score réalisé par le FPI. Avec une fourchette officielle de 10 % à 15 % des suffrages, il se situe en dessous de la représentativité qu’il affirme avoir conquise, soit entre 30 % et 45 %. Il lui faut pourtant participer au vote, afin de concrétiser le passage du parti unique au multipartisme. Désormais, ce sont les élections législatives du mois de novembre 1990 qui constituent son objectif essentiel.

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