23 000 kilomètres à travers l’URSS
Il y a trois Moscou. Celui de la sainte Russie, doré, bombé, étincelant, délabré ; celui de Staline, arrogant, massif ; et le dernier en date, qui perce un peu partout sous la couche de l’ancien : béton, espaces verts, balcons fleuris.
Il y a aussi, dans chaque Moscovite, trois mentalités : la permanence de l’âme russe, slave, dont la lourdeur ne doit pas être prise pour de la tristesse et dont l’attente, constante, consentante peut se muer soudant en frénésie ; la survivante d’une société conformiste, structurée, organisée, qui pousse à l’extrême le sens de la hiérarchie et le respect des normes ; et l’émergence de sentiments nouveaux, de besoins enfin exprimés, d’une exigence critique, d’une aspiration au changement. Tout cela noyé sous un flot de gentillesse souriante. La facilité des rapports humains fait que tout le monde parle à tout le monde, sans fausse gêne, avec courtoisie et retenue. On a l’impression d’enfoncer dans de la guimauve : on voudrait entendre des gens qui crient, qui protestent, qui s’interpellent. Et puis on s’habitue. Et la première sensation d’écrasement, née du gigantisme des constructions, de l’immensité des avenues vides et silencieuses, de la lenteur, de la discipline, de la gravité de la foule russe, est aussitôt tempérée par un « je-ne-sais-quoi » de jeune, de gai, de vivant. C’est cela, la Russie d’aujourd’hui.
Toutes ces contradictions vous assaillent dès l’arrivée. Mélancolie d’un ciel gris sur des prairies vert tendre et des bois de sapins et de bouleaux, rares voyageurs attendant sans impatience devant les guichets de l’aérodrome. Puis, après une route vide, au milieu de la forêt, Moscou, le nouveau Moscou : des rangées d’immeubles tous semblables, alignés sagement le long de très larges avenues où ne circulent que peu de véhicules. Quatorze kilomètres d’HLM plantées dans la plaine russe, avant d’arriver jusqu’à la gare de Biélorussie, dont le dôme vert et blanc annonce la célèbre rue Gorki. Et la foule se déverse lentement, silencieusement dans la rue Gorki, foule encore terne, mais émaillée çà et là de sourires, de robes claires, de coiffures apprêtées.
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