Faux-fuyants et vraies questions

Les discussions entre les bailleurs de fonds et les autorités prennent de plus en plus souvent des allures de dialogue de sourds.

Publié le 23 octobre 2005 Lecture : 3 minutes.

Les sourires de façade, les bonnes manières diplomatiques, les chaudes poignées de main échangées lors des rencontres officielles ne sauraient cacher les détestables relations qu’entretiennent les bailleurs de fonds et le régime de Laurent Gbagbo. Dès l’arrêt des premiers remboursements du pays, au lendemain du 19 septembre 2002, les bailleurs de fonds se sont empressés de couper les vivres au pouvoir en place. Depuis, les relations se sont dégradées au fur et à mesure que les exactions se multipliaient contre les étrangers et les ressortissants du Nord, sans oublier les victimes des escadrons de la mort. Pour garantir la sécurité de son personnel, la Banque africaine de développement (BAD) a délocalisé – jusqu’à nouvel ordre – son siège d’Abidjan à Tunis. Les personnels de l’Agence française de développement (AFD) se sont repliés sur Paris et la Banque mondiale a réduit ses effectifs sur place.
À l’exception de ceux de l’Union européenne, qui continune de financer plusieurs projets de développement dans le domaine des infrastructures et de l’agriculture notamment, la majorité des décaissements internationaux est suspendue. Mais, officiellement, les discussions se poursuivent. Les experts du Fonds monétaire international (FMI), qui doivent donner leur blanc-seing pour la reprise de la coopération, ont renoué les contacts avec les autorités en mai et septembre derniers lors de deux missions à Abidjan au cours desquelles ils ont fixé les préalables à la mise en oeuvre d’une assistance d’urgence postconflit (AUPC) : le déploiement de l’administration sur l’ensemble du territoire ainsi que des conditions de sécurité suffisantes, caractérisées par un début effectif du processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR).
« Ces préalables sont des faux-fuyants… Je suis agacé parce que je considère que la mission du FMI est justement d’aider ceux qui sont en difficulté. Notre difficulté à nous est que nous recherchons des moyens pour réussir la sortie de crise », déclare le ministre ivoirien de l’Économie et des Finances, Paul-Antoine Bohoun Bouabré.
La reprise de la coopération est également liée à l’apurement des arriérés de paiement qui s’élèvent à 135 milliards de F CFA (environ 205 millions d’euros) auprès de la Banque mondiale et de 205 milliards (312,5 millions d’euros) pour la BAD. Selon l’aide-mémoire de la mission de septembre, Abidjan envisage de régler ses dettes en émettant des bons du Trésor sur le marché régional par l’entremise de la BCEAO (Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest). Les conditions et les modalités de mise en oeuvre de cette opération sont actuellement à l’étude.
Mais la liste des injonctions des hommes de Washington ne s’arrête pas là. Le FMI et la Banque mondiale, qui ont cherché à mettre leur nez dans les comptes du cacao, du pétrole et des régies financières du pays, n’ont pas obtenu entière satisfaction et demandent des ajustements. Dans leur collimateur, les organes de gestion de la filière cacao qualifiés d’opaque, les comptes « occultes » du secteur pétrolier, et la Banque nationale d’investissement (BNI, ex-Caisse autonome d’amortissement), accusée de servir de caisse noire pour le régime. Cet établissement est dirigé par Victor Nembelissini, qui passe pour l’homme lige du ministre de l’Économie et des Finances. Il n’est un secret pour personne que la communauté internationale aimerait bien se débarrasser du grand argentier du pays, jugé peu coopératif avec les partenaires étrangers.
Du côté du pouvoir, on tolère de moins en moins l’immixtion des bailleurs de fonds dans la politique économique du pays, et l’on considère qu’il s’agit d’une atteinte à la souveraineté nationale. Malgré la crise, soulignent les autorités, « l’économie ne s’est pas effondrée et renoue avec la croissance ». Le ministère de l’Économie et des Finances table sur une progression du PIB de 1,5 % en 2005. Si les comptes de l’État semblent tenir le coup, les secteurs de l’éducation, de la santé et du développement rural pâtissent d’un manque de financements. Routes, hôpitaux, écoles… la grande majorité des infrastructures et services publics se détériore de jour en jour. En n’honorant pas ses remboursements auprès des institutions financières internationales, l’État ivoirien se prive de moyens financiers pour mener à bien ses projets de développement, retarde la mise en place du processus d’annulation de la dette et hypothèque l’avenir de sa population.

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