Extraits

Publié le 23 octobre 2005 Lecture : 3 minutes.

Aussi loin que je remonte dans mon enfance, j’ai toujours voulu servir mon pays. Mon père fut l’artisan obstiné de cette vocation, au point d’en faire un sujet de constante préoccupation. Simple agent des douanes, il ne comptait pas parmi l’élite du Dahomey. Il nourrissait pour son fils de grandes ambitions, non pas à la dimension des Lamine Guèye, Apithy, Houphouët-Boigny et Senghor, héros politiques de son temps, mais à la mesure des événements et des mutations dont il était le contemporain, et de la compréhension qu’il en avait.
En ces temps-là, l’indépendance n’était pas l’idée la mieux partagée. Aussi mon père ne pouvait-il imaginer que le Dahomey deviendrait bientôt un État souverain, libre de ses actes, maître de son destin. Pour lui, rien ne surpassait la fonction d’administrateur des colonies. Son désir le plus ardent était de me hisser à la hauteur d’un Félix Éboué. Il admirait son aptitude au commandement, son ardeur au combat et son dévouement à la patrie. […]
Ma mère, descendante de deux lignées royales et d’un chef de canton, pétrie des notions d’autorité et de service, me conforta dans le choix de mon père, quoiqu’elle ne partageât point, et pour cause, son opinion sur les « bienfaits » de la colonisation. Mon foulard scout et mon brassard de capitaine d’une équipe de basket firent le reste pour m’inculquer les notions de responsabilité et de solidarité.
J’ai poursuivi mes études secondaires, bercé par l’idée que je serais un jour administrateur des colonies. Mais, au moment où j’atteignais la classe de seconde, la France, secouée par d’incessantes crises gouvernementales, fit de nouveau appel au général de Gaulle. C’était en 1958. Les discours prononcés par « l’homme de Brazzaville » et l’adoption de la Constitution de la Ve République annoncèrent aux Africains que leurs pays pouvaient, s’ils le voulaient, revendiquer la pleine souveraineté, nationale et internationale.
À grandes causes petits effets ! Le vieux rêve de mon père qui servait d’échafaudage à mon ambition s’écroula. Devenu bachelier alors que mon pays accédait à l’indépendance, j’optai pour les études juridiques, car elles me paraissaient les mieux adaptées à ma nature profonde. Ainsi, à l’automne 1961, je m’inscrivis au Panthéon, en faculté de droit, et à l’École nationale de la France d’outre-mer, avant d’intégrer, plus tard, l’École nationale de la magistrature. […]
Je sortis major de l’ENM, pourvu d’un doctorat d’État qui m’ouvrait la porte des carrières juridiques, et bien décidé à rentrer au plus tôt dans mon pays, qui effectuait ses premiers pas d’État souverain. […]
Le 30 novembre 1967, je débarquai à Cotonou, rempli d’espoir et bercé d’illusions.
La réalité me rattrapa aussitôt. Dix-sept jours après mon retour au Bénin, un coup d’État militaire renversait le général Christophe Soglo, lui-même arrivé au pouvoir suite à un putsch. À peine installé, le nouveau gouvernement manifesta la volonté de remettre le pays à l’endroit, en déclarant la guerre à la corruption. Emporté par son élan, il prit la décision de créer un tribunal militaire d’exception chargé de juger les actes de prévarication. […]
Le nouveau régime cherche un jeune homme pour assumer cette délicate fonction. Je fus choisi. J’avais 25 ans. […]
Les deux premiers cas déférés furent instruits et jugés sans accroc, et je pus soutenir l’accusation sans autre contrainte que ma conscience. Le troisième fut l’épreuve de vérité. Il s’agissait de juger l’intendant des forces armées, le commandant Chasme. Officier, il comparaissait devant ses pairs. Garde des Sceaux trois semaines auparavant, il avait lui-même signé le décret de nomination des membres du tribunal. La seule et unique pièce du dossier était une lettre du gouvernement demandant au ministère public de le faire comparaître. Mon embarras fut d’autant plus grand que la procédure imposée était celle du flagrant délit. Je sollicitai des instructions écrites. Elles vinrent sans tarder. Je devais requérir vingt ans de réclusion contre le présumé coupable ! L’audition de témoins à laquelle je fis procéder publiquement pour étayer l’acte d’accusation laissa apparaître qu’aucun fait de corruption n’était prouvé. Je suspendis donc la séance et informai le gouvernement que je réclamerais la relaxe. Mais l’ordre de requérir vingt ans fut au contraire confirmé ; Chasme devait être condamné au nom de la raison d’État.
Je décidai de ne pas céder ! Au nom de l’État de droit.

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