La bonne distance

Publié le 23 septembre 2007 Lecture : 5 minutes.

Elle n’est écrite nulle part, mais elle est devenue, depuis près de sept ans, une règle de la vie politique internationale.
Grands ou petits, démocratiques ou non, les pays de tous les continents la subissent : lorsque, pour son malheur, un dirigeant principal de l’un de ces pays choisit de se rapprocher beaucoup de l’actuel président des États-Unis, George W. Bush, d’adhérer à ses options, de « coller » à sa politique, ce dirigeant devient assez vite impopulaire dans son pays et plus largement dans sa communauté, ici l’Europe, là le monde arabo-musulman, ailleurs l’ensemble latino-américain.
Dans les pays de démocratie, plus précisément en Europe, trois proches amis de George W. Bush ont perdu le pouvoir et ont été poussés vers la sortie, essentiellement parce qu’ils ont trop ouvertement et trop bruyamment soutenu sa politique et ses aventures guerrières : José María Aznar (Espagne), Silvio Berlusconi (Italie) et Tony Blair (Royaume-Uni).

Dans les pays du Sud, et plus particulièrement dans les autocraties, la règle se vérifie encore mieux.
Le destin de leurs dirigeants est tout bonnement façonné par leur proximité plus ou moins grande avec l’hôte actuel de la Maison Blanche. On peut, je pense, ranger la plupart d’entre eux dans l’une des catégories suivantes.

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I. À un extrême, ceux qui ont choisi ou accepté, bon gré mal gré, de « coller » à George W. Bush et à sa politique, au point d’en faire partie, d’en être un rouage apparent, un « collaborateur ».
Le général Pervez Musharraf du Pakistan en est le spécimen le plus en vue, mais Hamid Karzaï d’Afghanistan ou Nouri al-Maliki d’Irak (et ses collègues du gouvernement qui siège dans la « Zone verte » de Bagdad) figurent dans la même catégorie.
Ont-ils été populaires ou à tout le moins acceptés ? En tout cas, ils ne le sont plus car associés à une politique décriée, voire rejetée. Sont-ils assez malins et ambitieux pour survivre à une aventure qui les dépasse ? Ou bien seront-ils emportés par elle et classés parmi les opportunistes de la vie politique ?
Ce qui paraît certain, c’est qu’aucun n’a la fibre démocratique ; aucun n’est un homme politique d’envergure, ni, a fortiori, un rassembleur.
À croire que les Américains, et plus généralement les occupants, n’attirent que les autocrates et les médiocres

II. À l’extrême opposé, on trouve quelques pays, pour la plupart trop petits pour véritablement inquiéter l’hyperpuissance. Ils gaspillent beaucoup de leurs ressources en un combat inégal, épuisant et, pour l’essentiel, vain contre le colosse américain, quels que soient son président et sa politique.
Ces pays sont en général dirigés par des hommes dont l’ego dépasse les moyens et qui sont mus par un ressentiment historique : hier Kadhafi pour la Libye, Castro pour Cuba, depuis près de cinquante ans, aujourd’hui Chávez pour le Venezuela, Ahmadinejad pour l’Iran ou Mugabe pour le Zimbabwe.
Combat sans grand d’intérêt et qui dure si longtemps que l’observateur ne sait même plus si le pays et l’homme qui le mènent sont agressés ou agresseurs.

III. Entre ces deux extrêmes, on trouve les autres pays du sud de la planète et leurs dirigeants.
Je les classerai en deux sous-catégories. Il y a tout d’abord ceux dont on peut dire que ce sont des opportunistes habiles.
La plupart des dirigeants arabes et beaucoup d’africains entrent dans cette sous-catégorie d’hommes politiques qu’on peut qualifier aussi de réalistes : ils admirent l’Amérique ou bien la respectent ou bien encore la craignent.
Son actuel président ? Ils en pensent souvent du mal et beaucoup n’aiment pas sa politique. Mais ils se gardent de le dire ou d’émettre en public la moindre critique sérieuse à son endroit : trop dangereux, pensent-ils.
Et ils font ce que Bush et son administration leur demandent de faire. En maugréant et en traînant les pieds ; ou bien en faisant du zèle.
Selon les hommes et les circonstances

J’en viens maintenant et pour finir au seul groupe respectable : il est constitué par une pléiade de chefs d’État de pays du Nord et du Sud, grands et petits. Ces dirigeants politiques ont su trouver la bonne distance par rapport à George W. Bush et son administration. Et ils ont réussi à la garder.
Ils sont plusieurs en Europe, dont, bien sûr, ceux de l’Europe du Nord, ainsi que le successeur de Tony Blair pour le Royaume-Uni, Gordon Brown.
Angela Merkel, chancelière d’Allemagne, Romano Prodi pour l’Italie, José Luis Zapatero pour l’Espagne et, last but not least, Vladimir Poutine pour la Russie sont tous à la bonne distance : ils ne font pas chorus contre lui, ne sont pas non plus les « béni-oui-oui » du prince.
Sur le continent asiatique, les dirigeants de la Chine et de l’Inde observent la même distance.
De leur côté, l’Afrique du Sud et le Brésil font honneur à leurs continents respectifs – dont ils sont les principales puissances – en pratiquant vis-à-vis de Washington un non-alignement de bon aloi.
Les uns et les autres nous prouvent que ce concept de non-alignement est non seulement encore valable après la fin de la guerre froide, mais s’impose pour limiter les excès de l’hyperpuissance.
Son économie est la plus importante du monde, elle dépense à elle seule, pour ses forces armées, autant que le reste de la planète. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour qu’on s’incline devant la volonté de ses dirigeants, surtout lorsqu’ils sont médiocres et font fausse route.

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L’Amérique est dirigée depuis sept ans (et pour une année encore) par un politicien qui a su se faire élire, et même réélire, à sa tête. Mais George W. Bush s’est révélé, et le confirme chaque année, être un mauvais chef.
Il croit qu’il a un lien direct avec Dieu et ne s’aperçoit pas qu’il est coupé des réalités.
Il prend de mauvaises décisions et les fait exécuter à la diable ; il s’obstine dans ses erreurs tout en montrant aux Américains et au monde qu’il est tiré à hue et à dia par des collaborateurs qui ne cachent pas leurs divergences.
S’ils veulent limiter la casse, ses homologues des autres pays n’ont d’autre voie de sagesse que de se tenir à bonne distance de l’éléphant et de tenter de protéger la porcelaine.

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